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Un relais russe.


DE KIEW À BÉRÉZOV,

SOUVENIRS D’UNE EXILÉE EN SIBÉRIE.

PAR Mme ÈVE FÉLINSKA

.

1839. — TRADUCTION ET DESSINS INÉDITS[1]


Avant-propos.

Un de ces gémissements périodiques qui apprennent de fois à autre à l’Europe que la Pologne respire encore ayant attiré, vers la fin de 1838, une recrudescence de rigueurs sur cette malheureuse contrée, l’auteur du récit suivant, Mme  Ève Félinska, d’une noble famille de l’ancienne Ukraine, ainsi que d’autres jeunes femmes de son voisinage, suspectes, comme elle, de regrets et de vœux pour la patrie perdue, fut comprise dans un ukase ou décret de transportation en Sibérie. Sans autre préambule, nous suivons ses traces à partir de l’antique cité de Kiew, où elle laissait ses foyers et tous les objets de son affection.


Départ de Kiew.

J’ai quitté Kiew le 11 mars 1839 ; le soleil était resplendissant, le ciel d’un bleu d’azur, et pourtant les glaces n’étaient pas encore fondues. Après avoir franchi le Dniéper, les chevaux de mon traîneau s’élancèrent à toute vitesse sur la route d’Orel… C’était le commencement de mon triste voyage. À chaque instant je regardais en arrière pour revoir encore ce que j’aimais et ce que je quittais, sans doute pour toujours… Bientôt, hélas ! Kiew disparut, et mon regard désolé alla se perdre dans l’espace : les bruits de la ville n’arrivaient plus à mon oreille ; je n’entendais plus que le son monotone des grelots attachés au cou des chevaux, et le craquement des supports de mon traîneau qui s’enfonçait dans la neige ; mes émotions douloureuses et terribles, le froid, la fatigue me firent perdre pour ainsi dire la

  1. Tous les dessins joints à cette relation ont été faits par M. Durand-Brager d’après les esquisses et les indications communiquées par M. Léonard Chodzko.