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couvertes de sculptures les plus bizarres. La cathédrale est bâtie sur une hauteur qui domine la ville, et on y arrive par un bel escalier d’une centaine de marches ; la porte principale, qu’on appelle Puerta de los Apostolos, est ornée de statues représentant les apôtres, non en pierre, mais en terre cuite, particularité fort rare ; elles portent la date de 1458.

C’est dans une des sombres rues de Gerona que, vers l’heure de minuit, nous entendîmes pour la première fois la voix mélancolique des serenos.

Le col de Pertus. — Dessin de G. Doré.

Ces gardes de nuit, avec leur manteau couleur de muraille, leur lanterne et leur pique, reportent en plein moyen âge ; ils ne se bornent pas à veiller sur les bourgeois endormis dans leurs demeures ; ils sont encore chargés de leur annoncer, sur un mode particulier, l’heure ainsi que le temps qu’il fait au dehors, et comme les nuits d’Espagne sont d’ordinaire sereines, on leur a donné tout naturellement le nom de serenos. On ne peut guère les comparer qu’aux nachtwachterer d’Amsterdam, qui parcourent la ville armés d’un sabre et d’un bâton, et vont criant les heures en s’accompagnant, d’une crécelle ; les serenos sont dépourvus de cet instrument, mais en revanche leur mélodie, qui appartient à l’atonalité du plain-chant, est pleine d’originalité ; quelquefois ils débutent par une phrase à la louange de Dieu ou de la sainte Vierge, comme : Alabado sea Dios ! (Dieu soit loué !) ou : Ave Maria purissima ! Cette dernière formule est plus spécialement usitée en Andalousie, où la Mère de Dieu est l’objet d’un culte tout particulier, sous le nom de la Santisima, la très-sainte. Voici cette mélodie, notée par M. J. B. Laurens, qui lui attribue plusieurs siècles d’ancienneté :

Avant de commencer leur promenade nocturne, les serenos se réunissent d’ordinaire à l’ayuntamiento (la mairie), d’où chacun se dirige vers son quartier ; ils rendent de nombreux services aux citoyens : ainsi, ils s’assurent que toutes les portes sont bien fermées ; ils vont chercher, dans les cas pressants, la comadre (la sage femme), le médecin, les sacrements ; on assure même qu’ils se chargent parfois de missions d’un ordre plus profane ; les étrangers égarés ne manquent pas de s’adresser à eux : c’est ce qui nous arriva une nuit que nous étions perdus dans un dédale de rues tortueuses ; nous fîmes causer le brave sereno, qui s’empressa de nous conter toutes ses doléances ; il craignait fort de perdre sa place, convoitée par beaucoup d’ambitieux, tant est grande la rage des emplois en Espagne, où pour la moindre place on compte, comme en France, cent compétiteurs.

Après avoir souhaité bonne nuit à notre ami le sereno, nous nous disposions à reprendre les places que nous occupions sur l’impériale de la diligence, quand nous les vîmes occupées par des paysans catalans qui s’en étaient emparés sans façon, et semblaient fort peu disposés à nous les rendre ; il y avait quatre places, et ils étaient sept, tous gaillards à la mine assez rébarbative. En ma qualité d’interprète, je fus chargé de leur adresser un discours pour les engager à dé-