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Cependant toutes ces manœuvres nele sauvèrent pas, comme banquier, du sort le plus vulgaire ; il ne tint pas contre la banqueroute, et, en 1837, il disparut tout à coup, et pour toujours, de Kirtland, où il laissa ses créanciers indignés se morfondre, en face d’une caisse, sans argent, d’un magasin vide et d’un temple abandonné.

Le ciel lui avait pourtant révélé, avant ce désastre financier, l’emplacement précis de la vraie Sion. C’est dans le comté de Jackson (Missouri) qu’était la nouvelle Caanaan, héritage des saints du dernier jour. Des émissaires envoyés pour reconnaître ce pays rapportèrent que c’était une « belle et bonne terre, où coulait le lait et le miel. » Smith lui-même, privé de tout moyen de transport, fit à pied 500 kilomètres pour aller visiter cette contrée bénie. Laissons donc le prophète nous la décrire en termes enthousiastes et chaleureux :

« Les prairies y sont émaillées de fleurs, nombreuses comme les étoiles du ciel, brillantes comme elles. Le sol est riche, fertile ; il produit en abondance le blé, le maïs, etc. Le bison, le cerf, l’élan, l’ours, le loup, le castor, d’autres animaux plus petits y foisonnent. Dindons, oies, cygnes, canards, la gent emplumée avec presque toutes ses variétés, ajoute encore de nouvelles grâces à toutes celles de cette délicieuse contrée, promise en héritage aux enfants de Dieu. Le temps y est doux et charmant pendant les trois quarts de l’année ; enfin cette terre de Sion promet de devenir une des régions les plus favorisées du globe, située comme elle l’est sous le 39e degré de latitude nord, à égale distance entre le Pacifique et l’Atlantique, les Rocheuses et les Alleghanys. »

Prison de Carthage où périt le prophète Smith (voy. p. 391). — Dessin de Ferogio d’après the road from Liverpool, etc.

Peu après nous trouvons Smith établi à Indépendance (Missouri), à la tête d’une communauté florissante, dotée de plusieurs journaux et d’une Église englobant déjà deux à trois mille disciples, sans compter les Indiens, auxquels de fois à autres il allait révéler les prétendues traditions de leur race. Alors commencèrent ses malheurs. Il s’était jusque-là assez impunément tiré du mauvais pas, à part le goudron et les plumes dont l’avaient enduit, dans l’Ohio, les victimes de ses combinaisons financières. Mais il finit par se trouver en face d’une opposition plus formidable. Il eut à lutter à la fois et contre l’ambition mondaine de ses disciples les plus fervents, Rigdon et Hyde, par exemple, et contre la haine des gentils. Enflammés comme ils l’étaient par leur merveilleux succès, les saints du dernier jour s’arrogeaient le privilége d’une sainteté exclusive, ils aspiraient déjà vaguement au pouvoir et à la suprématie de ce monde, et après avoir borné leur ambition au comté de Jackson, ils en étaient venus à couver, pour ainsi dire, tout l’État de Missouri et même à jeter un regard de domination anticipée sur tout le nouveau continent. Dès lors rien d’étonnant à ce que leurs voisins, les gentils, alarmés et aigris par tant de prétentions, vinssent à prêter l’oreille aux accusations jetées à la face des Mormons : intrigues nouées avec les esclaves, viol de la propriété, enfin et surtout, la polygamie et les principes immoraux qui commençaient à s’ébruiter, malgré des dénégations effrontées. Quelques mois après, les citoyens du comté de Jackson, réunis en masse, adoptèrent une série de résolutions énergiques, ayant pour but le renvoi immédiat des sectaires.

Les bornes de cette esquisse ne nous permettent pas d’entrer dans les détails de la lutte qui se livra entre les saints des derniers jours et les brigands des frontières. Cette lutte, qui dura plusieurs années, et fut marquée, tantôt par d’aigres controverses, tantôt par de sanglantes représailles, eut pour résultat final la complète expulsion des saints de leur Sion du Missouri et même des limites de l’État. C’est dans cette sombre période que Smith fonda l’organisation militaire particulière à son peuple, organisation qu’il perfectionna plus tard dans sa Légion de Nauvoo, et qu’il créa la Bande de Dan, ou les