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et la vie d’un voyageur y court des risques dont lui, le sultan, ne voulait pas encourir la responsabilité. Il y a quelques années, un médecin franc, le Dr  Cuny, vint au Dârfour accompagné de son jeune fils ; il y mourut le cinquième jour de son arrivée, et des rumeurs malveillantes avaient imputé la faute de cette mort aux serviteurs du sultan. Le sultan ne s’opposait pas à ce que l’on vînt du Kordofan chez lui ; mais il lui serait impossible de permettre que du Dârfour les étrangers pénétrassent plus avant dans le Soudan, où il ne pourrait plus répondre de leur sûreté ni de leur vie.

M. Munzinger, dès qu’il a eu connaissance de cette missive, a pris immédiatement le parti de revenir sur ses pas et de rentrer en Europe, bien convaincu que le moins qui pût lui arriver s’il se hasardait au Dârfour, même en admettant que le sultan soit aussi étranger qu’il l’affirme à la mort du Dr  Cuny, serait d’y être retenu captif comme l’est depuis deux ans l’envoyé du vice-roi d’Égypte.

Voilà donc, au moins de ce côté, l’expédition allemande abandonnée. Les espérances du Comité de Gotha se reportent maintenant tout entières sur M. de Beurmann.

L’espoir que de son côté avait M. de Beurmann de pénétrer directement du pays de Barkah (ancienne Cyrénaïque) dans la terre encore inconnue des Tiboû, en se portant directement au sud, n’a pu se réaliser. Aucun guide n’a osé prendre avec lui cette direction, tant était grande, jusqu’à ces derniers temps, la terreur qu’inspirait le feu roi du Ouadây. M. de Beurmann a dû se résigner à la voie détournée et déjà connue du Fezzan ; ses dernières lettres sont écrites de Mourzouk, la capitale de ce dernier pays, à la date du 20 juin de cette année. Le voyageur allait partir pour le Bornou, par la route qu’ont déjà suivie plusieurs voyageurs et dont Vogel lui-même a fait une bonne étude, avec l’intention de contourner au sud le lac Tchad par le pays de Baghirmi (dont nous devons la connaissance aux courses savantes de Barth), et de remonter de là au nord vers le Ouadây, où il espère rencontrer Munzinger et ses compagnons. Que Dieu les accompagne et les protége !

Quant à M. de Heuglin et aux deux membres de la mission qui l’ont accompagné, M. Shubert et le docteur Steudner, ils ont quitté Adoa (la capitale du Tigre), le 26 décembre de l’année dernière, et sont arrivés à Gondar, le 23 janvier, après une intéressante excursion aux montagnes du Sémèn, la Suisse de l’Abyssinie. Un mémoire de M. de Heuglin imprimé dans le journal du docteur Petermann, renferme un premier aperçu des régions zoologiques du nord de l’Abyssinie, selon l’élévation des différentes parties du pays au-dessus du niveau de la mer. Les lettres que l’on a dernièrement reçues des trois voyageurs sont du commencement de février ; elles les laissaient encore à Gondar.

Mais en même temps que les nouvelles lettres de M. Munzinger, on a reçu à Gotha d’autres lettres de M. de Heuglin, et ces lettres (écrites au commencement de juillet) sont datées de Khartoum. M. de Heuglin avait quitté l’Abyssinie pour revenir directement à Khartoum, au lieu de pousser vers les contrées explorées du sud comme il en avait manifesté l’intention. Le voyageur ne dit rien des raisons qui l’ont fait renoncer à son projet ; peut-être les circonstances politiques où se trouve en ce moment l’Abyssinie — sur le point d’entrer en guerre contre les Égyptiens du Soudan pour reprendre par la force le Senna’ar et les territoires limitrophes qui ont fait autrefois partie de l’empire des Négousn n’y sont-elles pas étrangères.


Les nouvelles explorations du docteur David Livingstone dans l’Afrique orientale.

Nous n”avons pas besoin de rappeler à ceux qui ont lu les Voyages et Recherches d’un Missionnaire dans l’Afrique méridionale, la place élevée que M. David Livingstone a conquise dans la noble pléiade des grands explorateurs qui depuis quinze ans ont renouvelé l’aspect de la carte d’Afrique. Après avoir accompli, de 1852 à 1856, un véritable voyage de découvertes dans la moitié supérieure du vaste bassin du Zambézi, un des trois grands fleuves du continent africain, le savant missionnaire a quitté de nouveau l’Angleterre pour retourner, en 1860, sur le périlleux théâtre de ses premiers travaux, se proposant cette fois d’étudier le Zambézi inférieur, et quelques-unes des autres rivières qui débouchent dans le canal de Mozambique, en regard de Madagascar. Un petit bateau à vapeur, le Pioneer, construit en vue de cette exploration fluviale, devait le transporter sur les différents points qu’il se proposait de reconnaître dans ces parages. Une première tentative pour remonter la Rovouma, qui à son embouchure non loin du cap Delgado, entre le 10e et le 11e degré de latitude australe, a dû être abandonnée. Selon certains rapports indigènes, la Rovouma viendrait d’un grand lac intérieur appelé Nyanza (ce nom, qui se retrouve sur plusieurs points de l’Afrique australe, signifie seulement la Grande-Eau) ; et cette information, qu’elle soit ou non fondée, n’a pu qu’augmenter le regret de cet insuccès. Mais si M. Livingstone n’a pu atteindre de ce côté la Grande-Eau intérieure, il y est arrivé par une autre voie, et il a réalisé ainsi une conquête géographique qui n’est pas indigne de figurer à côté des belles découvertes de son premier voyage.

Jetez les yeux sur une carte d’Afrique, — sur une carte tout à fait récente, — vous voyez le fleuve Zambézi verser ses eaux dans le bras de mer (qu’on nomme le Canal de Mozambique) qui sépare l’île de Madagascar du continent africain, par un vaste delta dont les bras se déploient entre le 18e et le 19e degré de latitude australe. Quand on remonte le fleuve, dont les eaux profondes coulent ici à travers des terres basses et souvent noyées, domaine éternel des fièvres pernicieuses et des insectes dévorants, on arrive, à quatre-vingts milles anglais de la côte, au confluent d’une belle rivière que les indigènes nomment Chiré. Les rapports que M. Livingstone avait reçus au sujet de cette rivière, le déterminèrent à en entreprendre l’exploration. Le Pioneer s’y engagea et s’avança par une belle vallée toute