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défendit longtemps, sous les murs de Jérusalem, la couronne de Godefroy et de Baudouin ; à Saint-Jean d’Acre, elle aida puissamment Philippe II de France et Richard d’Angleterre à s’emparer de la place ; à Mansourah, hachée, écrasée parle nombre, elle ne put sauver le téméraire comte d’Artois, ni arracher des mains des Sarrasins l’infortuné saint Louis dont elle paya la rançon. Souvent victorieuse, quelquefois taillée en pièces, toujours au plus fort de la mêlée, elle ne s’en retira jamais que couverte d’autant de gloire que de blessures.

Le sort des armes, le refroidissement de la foi en Europe, les dissensions entre les croisés avaient mis ceux-ci dans une situation désespérée. Peu à peu ils avaient été acculés à la mer, et des nuées de musulmans y précipitèrent tout ce qui échappa à la fureur du glaive. Le sac de Ptolémaïs fut le dernier acte de ce terrible drame qui se jouait depuis deux siècles sur la terre de Syrie. Dans l’horrible nuit de 1291, qu’éclaira de ses lueurs sinistres la torche des Sarrasins, presque tous les chrétiens furent exterminés dans Saint-Jean d’Acre. Quelques faibles débris seulement, dérobés à la rage des mahométans, purent, en se jetant dans des barques, échapper au carnage dont mille cris de douleur leur portaient sur les flots les échos affaiblis.

Les restes de la milice des Hospitaliers, rares survivants de cette sanglante catastrophe, avaient dû, couverts de sang, abandonner ce sol que leur valeur n’avait pu défendre. La Palestine était à jamais perdue. Ce théâtre de leurs exploits passés était désormais interdit aux chevaliers de Saint-Jean. Les chemins de Jérusalem leur étaient fermés, sans qu’ils renonçassent à mettre au service de la religion du Christ cette foi valeureuse, cet esprit chevaleresque qui conservait dans leur cœur toute leur ardeur première.

Mais où aller ? — Où dresser la bannière du saint patron ? — Vers quels rivages porter des armes qui firent tant de fois trembler les ennemis des chrétiens ? — Où élever les murs d’un nouvel hôpital, pour y continuer les traditions de charité que leur avaient transmises leurs pieux devanciers ? Réfugiés à Limisso, qu’Henri II de Lusignan leur avait assigné pour séjour, leurs pensées se partageaient entre ces inquiétudes pour leur avenir et la nécessité de combler les vides que la guerre avait faits dans leurs rangs. L’ordre décimé sec recruta dans ses maisons d’Occident, et les jeunes chevaliers qui accoururent à la voix de leur chef le remirent de nouveau sur un pied respectable. Les membres nouvellement réunis autour du grand maître brûlaient de gagner leurs éperons ; ceux qui avaient survécu au désastre de Ptolémaïs soupiraient après la vengeance ; tous ensemble demandaient à courir aux infidèles. — Mais comment ? — Descendre sur la plage syrienne et retourner vers les lieux saints était chose impossible. La terre et ses combats étaient désormais interdits aux chevaliers. La mer seule s’ouvrait devant eux, et sur ses vastes plaines ils pouvaient, en changeant leur manière de combattre, faire encore la guerre aux mahométans, et rajeunir les lauriers de leur étendard.

Rempart et porte de Saint-Pierre, à Rhodes.

De ce moment, de nouvelles destinées s’offrirent à l’ordre de Saint-Jean. La foi, le zèle religieux et l’ardeur de ses membres à poursuivre le but de son institution qui était, avant tout, la défense de la croix en Orient, les poussèrent à employer leurs ressources à la création d’une marine. En peu de temps elle devint formidable, et les Sarrasins apprirent bientôt tout ce qu’ils avaient à redouter de ces hommes de guerre qui les avaient, en tant de batailles, terrassés à cheval, et qui les attaquaient et leur livraient de terribles combats dans leurs galères.

Cependant le roi de Chypre rendait insupportable aux chevaliers le séjour de Limisso, dont le port ne leur offrait d’ailleurs, ni par son étendue, ni par sa sûreté, les