Page:Le Tour du monde - 06.djvu/91

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Pendant que ceci se passait dans l’intérieur du Tampu, nos gens, restés au dehors, faisaient un somme sous le regard bienveillant des étoiles, laissant les mules, qu’ils avaient dessellées, se vautrer les quatre fers en l’air et suppléer par des culbutes au fourrage et à l’eau qui leur manquaient. Nous réveillâmes les uns et nous fîmes seller les autres afin de continuer notre route, une marche de nuit dans la pampa étant préférable pour les animaux, qui, n’ayant pas à souffrir de la chaleur du jour, supportent alors plus facilement la faim, la soif et la fatigue. Notre Palforio, qui ne s’était pas encore aperçu de la disparition de sa terrine, aida les muletiers dans leurs apprêts de départ et ne rentra chez lui que lorsqu’il nous eut vus en selle.

Le Tampu de la pampa.

En quittant le Tampu, nous prîmes à l’est ; le vent ne soufflait plus de la Cordillère, mais l’air était vif et piquant ; nos mules, que le repos et la fraîcheur avaient ranimées, manifestaient d’excellentes dispositions dont nous profitâmes pour les mener bon train. Vers cinq heures, une clarté blanchâtre envahit le ciel ; les constellations pâlirent ; le jour se fit. Bientôt, quelques rayons d’un rose orangé illuminèrent le sol de la pampa devenu ferme et compact ; le disque du soleil ne tarda pas à se montrer ; comme nous marchions au-devant de lui, nous nous trouvâmes au milieu d’un ruissellement lumineux qui nous éblouissait de telle sorte et nous incommodait si fort en même temps, que, pour échapper à ce supplice d’un nouveau genre, nous nous repliâmes sur nous-mêmes comme des hérissons. Cette posture anomale et gênante nous rendit injustes à l’endroit du soleil levant. Au lieu de l’accueillir avec transport, nous nous prîmes à le maudire ; cependant, malgré mon humeur, je ne pus m’empêcher de rire en entendant les Péruviens qui m’accompagnaient, envoyer au diable le Dieu qu’ils avaient adoré. À huit heures seulement, l’astre, déjà haut à l’horizon, nous permit de lever la tête. La chaîne des Andes neigeuses se dressait devant nous, coupée en deux par une zone de cerros qui bornent la pampa du côté de l’est. Nous nous engageâmes à la file dans les sentiers étroits, sinueux, malaisés, qui serpentent à la base de ces formations singulières ; l’aride région ne nous offrit que des cereus et des opuntias crevassés par la sécheresse, des lézards gris et force tourterelles ; nous en comptâmes trois ou quatre variétés. La tourterelle est, avec les rats, les poux et les puces, un des fléaux de ces contrées, non-seulement elle dévaste les champs de maïs et de blé, mais elle remplit l’air de lamentations continues. Ce triste oiseau pleure et niche indifféremment dans tous les coins ; on le trouve au milieu des cendres volcaniques du littoral, dans les sables quartzeux, sur les rochers de la sierra, sous les arbres des vallées chaudes et jusque dans les poésies de rapsodes quechuas, qui, non contents de l’appeler urpilla-chay, tourterelle chérie, lui comparent les femmes de leur nation, figure littéraire, soit dit en passant, dont je n’ai jamais compris la justesse.

Cette région des cerros où nous venions d’entrer, qui occupe en longueur sept à huit degrés et dont la largeur serait d’une lieue tout au plus, s’il était donné de la franchir à vol d’oiseau comme les tourterelles qui l’habitent, nous coûta deux heures de marche, sans compter la chaleur et la poussière qu’il nous fallut subir ; mais nous fûmes dédommagés de ces misères par le tableau qui s’offrit à nous, lorsqu’au tournant du dernier cerro nous débouchâmes sur l’esplanade qui sert comme de soubassement à ces formations minérales. À nos pieds s’étendaient la vallée d’Arequipa, faille profonde de quelque cinq cents pieds, large de deux lieues, longue de quinze lieues dans sa partie visible et couverte d’un tapis de verdure de diverses nuances ; des villages, des fermes, des maisons de plaisance, diapraient de points blancs et bruns cette étendue sillonnée par deux rivières qui, nées