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VOYAGE DE L’OCÉAN PACIFIQUE À L’OCÉAN ATLANTIQUE

À TRAVERS L’AMÉRIQUE DU SUD,


PAR M. PAUL MARCOY[1].
1848-1860. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




PÉROU.




PREMIÈRE ÉTAPE.

D’YSLAY À AREQUIPA.
Arequipa et son étymologie. — Tremblements de terre. — Plaidoyer éloquent en faveur du volcan Misti. — Églises et couvents d’Arequipa. — Qui traite des religieux en général et des religieuses en particulier. — Les rues, les maisons et les habitants de la ville. — Le beau sexe d’Arequipa. — Chausse-trapes matrimoniaux. — Modes et nouveautés. — Indiens porte-tapis. — Coup d’œil impartial sur une fontaine. — Esquisses variées.

Au delà de Yanahuara, petit village qui n’a de remarquable que son nom — la Culotte-Noire — et ses sources d’eau vive courant dans des acéquias de granit, les maisons se rapprochent et bordent les deux côtés du chemin Les cabarets abondent, et leurs banderoles blanches et rouges s’agitent dans l’air comme des ailes de flamants. Des troupes de lamas chargés de figues sèches, de piment, de charbon ou de sel gemme se croisent avec des convois d’ânes et de mules. Des Indiens des deux sexes vont et viennent et babillent à qui mieux mieux. À mesure qu’on avance, la foule augmente et le tapage aussi ; quelques carillons lointains se mêlent à ce tumulte et lui donnent je ne sais quoi de joyeux et de dominical. On pressent les approches d’une grande ville. Tout à coup, au tournant de la Recoleta, un avant-poste de maisons noires et sordides, où les Chicherias fument nuit et jour comme des usines, les terrains, coupés brusquement, laissent voir dans une perspective de lumière et d’azur la cité d’Arequipa, assise au pied du volcan Misti et couronnée comme d’un diadème par les neiges de la sierra. Le coup d’œil est magique. Jamais plus beau décor d’opéra n’apparut à la clarté des quinquets d’une rampe. Mexico dans sa plaine, Santiago du Chili adossée à la Cordillère de Mendoza, peuvent seules, comme splendeur d’aspect, entrer en parallèle avec Arequipa.

Du faubourg de la Recoleta, nous descendîmes vers un pont de six arches qui le rattache à la cité. Ce pont, d’une tournure d’aqueduc romain, domine de plus de cent pieds le lit de la rivière Chile, sœur de ce Tampu qui coule devant Ocongate. Torrent fougueux à l’époque de la fonte des neiges, le Chile n’est plus, pendant le reste de l’année, qu’un ruisseau vulgaire hanté par des cyprins et des écrevisses, et où les lavandières de la ville viennent battre leur linge à grand renfort de cris et de chansons. Nombre d’aficionados viennent chaque jour, de trois heures à six, sous prétexte de promenade, s’accouder sur le parapet du pont et regarder en bas dans la rivière. Durant trois heures d’horloge, ces honnêtes badauds écarquillent les yeux et se livrent à des appréciations plus ou moins drôlatiques, tout en crachant dans l’eau pour faire des ronds. Aucun d’eux ne stationnait sur le pont quand nous y passâmes ; pas une chola court--

  1. Suite. — Voy. page 81.