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son pays, et qui s’est éteint dernièrement à Paris, entouré de l’estime de tous ceux qui l’avaient connu.

Il n’y a rien à dire sur l’hôpital militaire et les casernes ; ils suffisent à leur destination.

Derrière la cathédrale, monument en forme de croix grecque, dont l’intérieur n’a rien de remarquable, se trouvent l’archevêché, et la loge de la Triple-Espérance, qui n’est pas la seule du Port-Louis. La franc-maçonnerie, dont beaucoup d’habitants ignoraient même l’existence avant la conquête anglaise, dut son éclat, et je dirai même sa vogue, à lord Moira, qui donna le spectacle public de cérémonies où tous les francs-maçons figuraient avec les décorations de leurs différents grades.

En repassant devant la cathédrale, on traverse une assez jolie place, bordée de multipliant et ornée d’une belle fontaine. Une petite rue conduit à l’église protestante, entourée d’un jardin fort bien entretenu, et surmontée d’une flèche qui a quelque rapport avec celles des églises de Bretagne.

Le culte mahométan possède deux mosquées, l’une dans le Camp malabar, l’autre rue de la Reine.

Les exercices et les revues de troupes ont lieu au champ de Mars, vaste emplacement situé près du champ de Lore et au pied de la petite-montagne. La musique militaire des régiments anglais vient y jouer de temps en temps vers quatre heures, et ces jours-là, on voit s’y presser des piétons et des voitures élégantes, près desquelles caracolent quelques jeunes gens à cheval. Ce sont les Champs-Élysées du Port-Louis. Au centre, la reconnaissance des Mauriciens a élevé un tombeau et une colonne au général Malartic, dont le courageux sang-froid dans les circonstances les plus critiques et le gouvernement paternel sont restés gravés dans tous les souvenirs. Sa mort, le 24 juillet 1800, causa une consternation générale. Les vaisseaux anglais en croisière devant Maurice s’associèrent au deuil de l’île : au moment de la translation des cendres du général au champ de Mars et durant toute la cérémonie, ils se tinrent en panne devant le Port-Louis, avec leurs pavillons en berne. « Hommage, dit M. d’Unienville, qui fait l’éloge des hommes capables d’honorer ainsi la vertu, même chez leurs ennemis. »

C’est au champ de Mars qu’ont lieu, au mois d’août de chaque année, des courses de chevaux qui durent trois jours. Cet amusement, essentiellement britannique, a été introduit par les Anglais peu de temps après la conquête de l’île, et est parfaitement entré dans les mœurs mauriciennes. On construit pour cette fête des loges élégantes à deux étages ; des tentes de toute forme et de toute grandeur s’établissent de tous côtés, ainsi que des balançoires, des jeux et des mâts de cocagne. De grand matin, les Indiens, dans leurs plus beaux costumes, arrivent en foule ; toute la population accourt, en carrosse, en carriole, à âne, à pied, et chacun cherche à se placer le mieux qu’il peut. Les petits noirs, qui n’ont pu trouver place près des loges, s’allongent à plat ventre dans l’espace libre entre ces dernières et le sol, et applaudissent le vainqueur ou couvrent de huées l’infortuné vaincu. Les courses ressemblent exactement à celles de France et d’Angleterre, sauf une seule qui mérite une mention particulière. On prend un porc, dont on graisse fortement la queue, et on le lance aussitôt après dans l’arène. Deux ou trois concurrents, Chinois, Indiens ou noirs, se précipitent à sa suite, et chacun cherche à l’arrêter par la queue ; celle-ci glisse d’abord des mains qui veulent la saisir, mais peu à peu la graisse diminuant, la lutte la plus comique commence entre l’animal qui combat pour sa liberté, et le quidam qui veut l’attraper ; enfin l’heureux individu qui est parvenu à le retenir est déclaré vainqueur, et reçoit pour prix le porc même.

Les courses, qui en France ne m’intéressaient guère, furent pour moi, à Maurice, un sujet d’études très-curieux parce qu’elles y sont une occasion de voir, dans toute leur diversité, cette mosaïque vivante qu’on appelle la population du Port-Louis. Je contemplais avec curiosité ces figures jaunes, noires, cuivrées, olivâtres, ces costumes plus variés encore que les physionomies, et ces étoffes de mille couleurs, éclairées plus vivement encore par le soleil des tropiques.

On déploie un luxe inouï à ces courses, et l’on n’a garde d’y paraître deux jours de suite avec la même toilette. Rien n’est assez beau, rien n’est assez riche, rien n’est assez luxueux en étoffes comme en parures ; pour éclipser une rivale, on fait venir longtemps à l’avance ce que les magasins de Paris offrent de plus choisi et de plus à la mode. On se rend visite d’une loge à l’autre, et les conversations les plus animées s’engagent pour ou contre tel ou tel cheval.

Aux colonies, du reste, le goût des chevaux et des voitures est encore plus développé qu’en Europe, et ce qui est en France un luxe coûteux est devenu presque un besoin à Maurice. Il n’est pas de commis qui n’ait son cheval : c’est le but et le désir de chacun de s’acheter tôt ou tard une voiture. Il faut dire aussi que les maisons sont plus grandes, l’emplacement qu’elles occupent plus vaste, et qu’il est toujours facile de se procurer une écurie ou d’en faire construire une à bon marché. À la campagne, un hangar fait l’affaire, et un petit domestique indien coûte si peu qu’on n’a aucun motif de s’en passer.

Revenons aux courses. Les personnes qui n’ont pu trouver de place dans les loges, vont en voiture à droite et à gauche, et les jeunes gens à cheval circulent çà et là saluant d’un côté, lançant un mot de l’autre, et s’arrêtant souvent pour causer. C’est un mouvement et une animation agréables qui durent trois jours, et pendant tout ce temps, affaires, ventes, achats, nouvelles, tout est abandonné, tout est sacrifié aux courses : les bureaux sont fermés, les colléges et les pensions sont en vacances ; s’il vous arrivait par hasard de retourner à la ville, vous croiriez entrer dans une cité morte ou déserte.

Avant et après les courses, on est dans la saison d’hiver, qui commence en mars et finit en octobre, et où il ne se passe guère de jour sans qu’il y ait quelque bal ou quel-