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terrains fertiles pour un produit ne le sont pas pour d’autres. Dans ce canton est une caverne curieuse, visitée en 1768 par le marquis d’Albergati, par M. de Chazal et Bernardin de Saint-Pierre. L’auteur de Paul et Virginie l’a décrite en ces termes : « Après avoir passé la Grande-Rivière, nous marchâmes environ trois quarts d’heure, à l’ouest, au milieu des bois. Comme nous étions en plaine, je me croyais fort éloigné de la caverne, dont je supposais l’ouverture aux flancs de quelque montagne, lorsque nous la trouvâmes, sans y penser, à nos pieds. Elle ressemble au trou d’une cave dont la voûte se serait éboulée. Nous descendîmes une douzaine de pas sur les rochers qui en bouchent l’ouverture, et je me trouvai dans le plus vaste souterrain que j’aie vu de ma vie. Sa voûte est formée d’un roc noir, en arc surbaissé. Sa largeur est d’environ trente pieds, et sa hauteur de vingt. Le sol en est fort uni, et il est couvert d’une terre fine que les eaux y ont déposée. Les gens du pays croient que c’est un ancien soupirail de volcan ; il me paraît plutôt que c’est l’ancien lit d’une rivière souterraine. La voûte est enduite d’un vernis luisant et sec, espèce de concrétion pierreuse qui s’étend sur les parois, et en quelques endroits sur le sol même. Cette concrétion y forme des stalactites ferrugineuses qui se brisaient sous nos pieds, comme si nous eussions marché sur une croûte de glace. »

La côte est belle, mais la chaleur y est très-forte ; les pâturages considérables que l’on y voyait autrefois ont été remplacés partout par des champs de cannes.

Cette partie de l’île est moins favorisée par la pluie, et l’irrigation y est largement pratiquée.

J’entrai plus loin dans les plaines Saint-Pierre, où je ne tardai pas à voir le village des Bambous, étagé jusqu’à la rivière Belle-Île, que je traversai sur une chaussée. À gauche, on rencontre une modeste église, une petite école et une forge couverte de feuilles d’aloès de l’effet le plus pittoresque. Ce groupe au premier plan, quelques maisons élégantes enfouies dans une forêt de cocotiers, et au fond la montagne du Rempart, forment un charmant tableau. Tournant près d’un poste de police, et continuant vers la mer, j’atteignis enfin la propriété de Médine, but de mon voyage, où m’attendait, chez M. Émile Chasteau, l’hospitalité la plus gracieuse et la plus empressée.

Le lendemain, comme je désirais voir les curiosités des environs, mon hôte m’indiqua l’embouchure de la rivière Belle-Île, et me donna un guide indien pour m’y conduire.

Après avoir passé dans de petits sentiers remplis de pierres, qui rendaient la marche fort pénible, je suivis une longue allée de manguiers qui débouchait près de la mer, dans un endroit rocailleux, où d’énormes blocs de roche noire étaient jetés comme un défi aux vagues et une barrière à l’action envahissante de la mer.

Je m’arrêtai quelques minutes à contempler la côte qui se dessinait en courbe gracieuse jusqu’au morne Brabant ; çà et là ondulaient les nombreux nuages de fumée qui s’élèvent au-dessus des sucreries comme de grands panaches blancs.

Arrivé à l’embouchure de la rivière Belle-Île, je descendis jusqu’à la mer, en suivant le lit de la rivière, et en m’aidant de mon bâton ferré pour sauter de rocher en rocher. De grands aloès jaunes poussent dans les interstices du roc sur les deux versants de cette ravine, qui se termine par une plage de sable. Derrière une saillie de rocher, je vis une des curiosités de l’île ; les habitants du voisinage l’appellent Bassin-Bleu. C’est une excavation conique, creusée par la nature, et où se précipite en cascade une branche de la rivière Belle-Île. L’eau de la chute vient se mêler avec celle de la mer dans cette espèce de cuve, et lui donne une couleur azurée d’une teinte particulière. On y pêche un grand nombre de poissons et des anguilles si énormes qu’il serait, dit-on, dangereux de se baigner en cet endroit.

Tout près de Médine, coulent deux petites rivières presque sèches l’été : la rivière des Galets et la rivière Dragon, qu’il ne faut pas confondre avec deux autres du même nom qui se trouvent à la savane. Leurs rives sont couvertes des jasmins du pays dont l’odeur est si pénétrante que la tête peut en souffrir.

Le lendemain, je me rendis au Tamarin en passant près de la montagne du Corps-de-Garde ; les flancs coupés à pic en sont visibles de tous les quartiers de l’île.

Une heure me suffit pour arriver au barachois[1] de la rivière du Tamarin, où l’on trouve une cocoterie considérable et plusieurs pavillons dépendant de la propriété.

Les cocotiers, gardés par un noir qui habite en cet endroit, sont des plus beaux et produisent tous les ans un grand nombre de fruits. Une case en planches assez mal jointes, une natte, une marmite, un mauvais coffre, une calebasse, quelques tasses de coco, tel était à peu près le mobilier de la famille entière que je trouvai accroupie devant la porte, du côté opposé au soleil. Le noir dormait profondément, et sa femme allaitait un enfant ; quelques autres jouaient un peu plus loin et couraient tout nus au soleil, ce qui n’est pas un inconvénient dans un pays où sont inconnues les rigueurs des climats du Nord. Ce noir me fit passer en pirogue l’embouchure de la rivière du Rempart, qui mêle ses eaux à celle du Tamarin et va se jeter avec elle à la mer ; ensuite il me conduisit le long du rivage jusqu’à la propriété Delysse. En revenant sur les bords de la rivière du Tamarin, dont les rives sont couvertes d’une végétation qui n’est pas sans quelque analogie avec celle des bords du Nil, je traversai un village de pêcheurs qui s’étend le long du rivage, ombragé par des veloutiers.

« Cet arbrisseau, dit Bernardin de Saint-Pierre, croît sur le sable, ses branches sont garnies d’un duvet semblable au velours, et ses feuilles sont semées de poils brillants ; il porte des grappes de fleurs, et exhale

  1. On appelle barachois une petite baie formée à l’embouchure d’une rivière.