Page:Le Tour du monde - 07.djvu/173

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anglais rencontre M. de Metternich : « Prince, lui dit-il, je crois qu’il serait à propos de prévenir vos employés que nous avons changé notre cachet. » — « Les maladroits ! » murmura le ministre. L’histoire est-elle vraie ? je n’en sais rien ; mais je sais bien qu’autrefois on ne prêtait qu’aux riches.

Pour mon compte, j’aurais mauvaise grâce de me plaindre. Et d’abord j’entre dans la cité impériale plus facilement qu’à Paris. On ne m’y retient pas aux portes une heure entière, comme il m’est arrivé dans certaine de nos gares, et la douane me semble fort débonnaire.

Aux barrières, on arrête notre voiture pour payer le droit de pénétrer en ville. C’est un ennui qu’ils ont oublié de supprimer. À l’hôtel, dans la rue, j’entends parler avec la plus extrême liberté. Le guide que je prends, un honwed hongrois blessé dans la dernière guerre, dit tout haut, partout où il me mène, dans Schœnbrunn même, devant les gens de service, des choses à faire bondir dans son tombeau le prince de Metternich. Vienne n’avait que deux journaux politiques, le Wiener-Zeitung et le Beobacter ; j’en trouve plus d’une douzaine qui ont l’allure aussi vive qu’à Berlin ou à Paris. E pure si muove : décidément le monde marche, puisque voici qu’à Vienne on court.

Arrivé à Vienne à quatre heures et demie, j’étais une heure après au Prater, la promenade fameuse qui s’étend de la ville au Danube avec de grandes allées d’arbres séculaires[1]. Mais le bois de Boulogne et les Champs-Élysées ont fait tort à ces renommées d’autrefois. Depuis que la ville de Paris nous a donné des jardins de rois, où les arbres les plus rares, les fleurs les plus belles, que jadis on n’eût laissé voir que sous les vitrines jalouses d’une serre ou derrière les barreaux de fer d’une grille inexpugnable, sont mis à la portée de nos yeux, de nos mains, et presque sous nos pas ; quand le plus pauvre peut jouir de magnificences que Louis XIV ne connut jamais, il n’y a point à s’étonner que les splendeurs d’hier ne soient plus, comme une toilette fanée, que la friperie d’aujourd’hui.

Dürrenstein.

Le Prater est un lieu bas, humide, mal entretenu, où l’on doit se trouver fort bien aux heures les plus chaudes des jours d’été. Je n’ose avancer que les Viennois, qui ont aux environs de leur ville tant de sites charmants, abandonnent le Prater ; il faut cependant qu’en historien fidèle je dise qu’au moment où j’y arrivai, je n’y trouvai personne, pas un promeneur, un cavalier ou un équipage, mais treize cerfs et un archiduc. L’archiduc passait rapidement pour regagner son hôtel, et les cerfs, qui sont en liberté et qui n’en abusent pas, venaient très-débonnairement chercher leur pâture au lieu accoutumé. Comme tant d’autres choses, le Prater s’en va : les chemins de fer l’ont tué, et l’on ne fait rien pour lui rendre la vie.

Après cela, les habitants, sans doute, à cette heure, dînaient, et Hans Wurst[2], le Polichinelle viennois, qui a établi au Prater son quartier général, s’était retiré sous sa tente. Un gaillard qui s’appelle Jean Boudin ne

  1. Le Prater, se trouvant au delà du canal de Vienne, est lui-même une île de deux lieues de long sur trois quarts de lieue de large, dont le faubourg de Léopold, la Léopoldstadt, occupe une grande partie.
  2. Wurst signifie andouille, saucisse, boudin.