enfermé depuis plus de vingt ans, et elle le salua la première du titre d’Empereur.
« Ibrahim était à la fleur de l’âge, dit un voyageur contemporain, témoin de ces événements ; il avait les traits du visage beaux, la barbe rousse et le teint vermeil. Son air annonçait un petit génie ; il portait la tête de côté et regardait toujours çà et là comme un homme qui ne pense à rien. Quoique sa taille fût assez belle, il avait mauvaise grâce à cheval. Enfin il ne plut guère au peuple, qui aime à voir sur la figure de ses sultans une majesté terrible. »
Le caractère d’Ibrahim est d’accord avec ce portrait ; il était paisible, indolent et sensuel à l’excès. Les affaires de l’État ne l’occupaient nullement ; mais il voulut, pour obéir à la loi du Prophète et suivre l’exemple de ses prédécesseurs, s’adonner à un travail manuel. Mourad IV faisait des anneaux de corne pour tirer l’arc. Achmet II excellait à transcrire les beaux manuscrits, et le grand Soliman confectionnait très-bien les souliers. Ibrahim s’appliqua à tailler des cure-dents en écaille de tortue.
La valideh reprit toute l’autorité qu’elle avait eue pendant le règne de son fils aîné. Cette Catherine de Médicis orientale tenait les rênes du gouvernement d’une main solide, et, pendant plusieurs années, elle maintint la tranquillité publique. Ce fut une période brillante pour le sérail. Le voluptueux Ibrahim cherchait sans cesse de nouveaux plaisirs. Le harem impérial était toujours en fête ; une ombre de liberté y régnait. Le sultan souffrait volontiers que les odalisques le suivissent dans ses jardins où il les régalait de danse et de musique. La valideh avait soin de faire acheter sur tous les marchés de l’empire la fleur des plus belles filles qu’y amenaient les marchands d’esclaves. Jamais il n’y avait eu tant d’odalisques dans le sérail. Le sultan était incapable d’aucune affection sérieuse ; son inconstance égalait l’emportement de sa passion, et ses favorites ne duraient qu’un jour. Une esclave russe nommée Tarkhan lui donna un fils la seconde année de son règne et plusieurs autres princes suivirent cet aîné à de courtes distances ; la lignée impériale se trouva ainsi renouvelée et la valideh put penser que sa puissance était désormais assurée.
Un jour que le sultan se promenait en caïque sur le Bosphore, il aperçut au bord de la mer une femme dont la taille le frappa. En rentrant au sérail il fit appeler le kislar-aga et lui commanda de chercher la femme la plus grande et la mieux faite qu’il y eût à Constantinople. Cent bastandjis partirent aussitôt et dès le lendemain ils amenèrent au kislar-aga une espèce de géante, assez belle de visage et qui paraissait avoir environ vingt ans. Elle était Arménienne et de condition libre. On la baigna, on la parfuma, on l’habilla somptueusement et elle fut présentée au Grand Seigneur, qui reconnut en
Ce bassin est un lieu chéri des femmes turques. Le vendredi, ce dimanche musulman, elles y viennent dès le matin, dans les arabas dorés, lourds chariots que traînent au pas des bœufs blancs empanachés. Là, étalées sur des tapis de Perse, sur des coussins de pourpre et d’or, elles restent tout le jour à se mirer dans l’eau tranquille de cet élégant bassin de marbre ; fumant, buvant les cherbets (sorbets à la glace), écoutant la musique, les chants et surtout les histoires et les commérages. C’est à ce kiosque de Flamour, caché dans un repli de la montagne, près du Palais blanc, que le nouveau sultan, qu’on nous représentait comme insensible à tout plaisir, allait dans les premiers mois de son règne, se reposer d’une étiquette trop sévère pour n’être pas affectée.