Page:Le Tour du monde - 07.djvu/201

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rouges dont nous étions pourvus. Ce fut un beau spectacle, et des lueurs magiques, changeantes, réveillaient dans les antres de grands aigles effrayés ; nous voyions distinctement les parois sèches, austères, moins belles que les voûtes de nos grottes ou pendent des stalactites humides. Mais, l’illumination éteinte, le pilote, troublé par l’obscurité subite, laisse dévier le gouvernail et la barque pirouette sur elle-même. Par bonheur nous ne devions avoir du danger que ce qu’il en fallait pour fixer en notre esprit le souvenir de cette nuit ; la manœuvre habilement commandée par le reis nous remet dans le droit chemin ou plutôt nous échoue doucement sur un petit îlot où nous nous amarrons solidement pour le reste de la nuit. La joie, plus vive encore que la crainte, se manifesta par des coups de fusil répercutés dans les profondeurs, par des chants, des danses, un tumulte qui attira près de nous plusieurs barques étonnées et prêtes à partager nos réjouissances (15 décembre). À l’aube, nous descendîmes, pour nous tenir éveillés, dans une étroite vallée ou s’écoule dans la paix la vie de quelques familles, inconnues au monde qu’elles ignorent. À peine voit-on de ce village, caché dans un repli de la montagne adoucie, passer les barques sur le Nil. Tout nous y parut patriarcal et primitif ; le beurre s’y fait tout seul, dans un vase suspendu par une corde qu’un enfant agite ; les femmes sourient et tendent la main sans lamentations.


Le Saïd. — Thèbes.

La ville de Syout, qui tient le premier rang après le Caire et Alexandrie, se présente avec plus d’apparat que ses voisines. Ses nombreux minarets, ses groupes de maisons blanches, ressortent gaiement sur le fond terne de la montagne libyque. Une route délicieuse, ombragée de mimosas, véritable allée de parc rafraîchie par un canal qu’elle côtoie, conduit du rivage à une espèce de porche, en avant d’une grande cour entourée de casernes. Là se tiennent les arnautes et les soldats du gouverneur. On traverse ensuite un petit bras du Nil, souvent à sec. Mais en décembre les eaux sont hautes et forment une belle chute. Au delà du petit pont, à droite est le palais du moudir, et son harem sans doute, car nous entendîmes au passage des cris joyeux et des éclats de rire, comme le bruit d’une pension de jeunes filles à l’heure de la récréation ; de grands arbres dépassent les murs et couvrent de leur ombre ce singulier internat. Une rue étroite et montueuse comme les rues de Sienne mais non pavée, conduit au centre de la ville. Les industries locales encombrent de leurs produits les vastes bazars : très-riches broderies d’or pour selles et harnais ; poteries célèbres et jolies pipes. Au milieu du bazar sont situés deux bains luxueux, l’un construit par Cléopatre, l’autre, connu pour le mieux organisé de toute l’Égypte sans en excepter le Caire. Syout fut dans les temps anciens un centre considérable et probablement une des villes assignées à la caste militaire. Les hypogées nombreux creusés dans la montagne où la ville s’appuie étaient destinés à des guerriers ; deux seulement présentent encore quelque intérêt ; le reste est dans un état de délabrement qui nous dispense de toute description.

Karnak. — Salle hypostyle : vue d’ensemble.

Syout est la capitale de la haute Égypte ou Saïd ; ses environs, bande étroite limitée comme partout ailleurs par le Nil et la montagne, se distinguent par une recrudescence de végétation. L’hiver, notre hiver, vient de commencer (20-23 décembre), et les champs verdoient, fleurissent, embaument comme au printemps. Quelques feuilles tombent des mimosas ; mais le blé qu’on vient de semer pousse à vue d’œil ; les orangers, les grenadiers, à peine dépouillés de leurs fruits, paraissent couverts de boutons prêts à fleurir. Le narcisse s’entrouvre