Page:Le Tour du monde - 07.djvu/204

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heureux voyage ; il est immonde, et je vis à plusieurs reprises les puces sauter d’une de ses jambes à l’autre. Tourné vers les régions supérieures, il n’a pas de temps à perdre en propreté mondaine ; si pour les grandes cérémonies il consent à revêtir une simarre de soie, il se hâte de retourner à la nudité et à la vermine.

« Ne s’étonner de rien, » c’est la devise de ce sage ; et d’ailleurs les ascètes ont de tout temps pullulé dans la Thébaïde. Cheik Sélim se croit le successeur des Paul et des Marie Égyptienne ; il me parla même de se faire bâtir une colonne pour y demeurer en équilibre jusqu’à la fin de ses jours, plus près du ciel où il aspire.

Mais place à de plus grands spectacles ; Thèbes s’approche ! Passez, Konek, antique Tentyris Cléopatre éleva le temple de Dendérah ; Gamaunh, Hamamdi, riches cultures, charmants bosquets de la rive arabique. La chaîne libyque est dans toute sa puissance. À ses pieds, voici Gournah, Médinet, les Colosses, les Memnonia ; sur l’autre bord, Louqsor et Karnak développent leurs palais énormes encore pleins de la gloire et des noms de Thoutmosis et de Rhamsès.

Sur cette terre épuisée par la puissance qu’elle a nourrie, l’homme aujourd’hui tient peu de place : un bourg à Louqsor, des huttes à Médinet, à Gournah quelques tombeaux habités, voilà toute la part d’une vie rabougrie et misérable sur ces bords fameux par les dieux, les rois, les chefs-d’œuvre. Mais, dans cette vaste plaine qui repousse et forme en cirque lointain les deux chaînes riveraines, la solitude est peuplée de visions innombrables ; les nations mortes laissent quelque chose dans l’air, et les pensées volent encore où les cerveaux ne sont plus !

Médinet-abou. — Gynécée de Rhamsès III.

Louqsor, point méridional de Thèbes, sur la rive arabique, conserve deux importantes séries d’édifices. C’est d’abord, en partant du sud, le temple-palais d’Aménoplus-Memnon, relié au Nil par des propylées où nous avons compté quarante-quatre hautes colonnes. Le fond du temple se relie sans intervalle au palais proprement dit ; dans l’une des dernières salles, toutes décorées de bas-reliefs et d’inscriptions, Aménophis s’était ménagé un oratoire où il est partout représenté dans l’attitude de l’adoration ; quand il ne voulait pas aller chez les dieux, les dieux venaient chez lui. Son petit-fils, Rhamsès-Sésostris, s’est établi tout auprès. Quatre pylônes à demi écroulés donnaient accès dans une enceinte encore formée de quatre-vingts colonnes ; des colonnes partout, autant que de peupliers sur le bord de nos champs ! En avant et au nord, se dressent deux autres pylônes plus grands, gigantesques, précédés de quatre colosses qui ont dix mètres de haut ; devant le colosse oriental, comme si ce guerrier, après le combat, eût planté sa lance en terre en signe de paix éternelle, paraît le majestueux obélisque dont le nôtre fut le pendant. « Le Seigneur du monde, soleil gardien de la vérité, approuvé par Phré a fait exécuter cet édifice en l’honneur de son père Ammon-Ra, et lui a érigé ces deux grands obélisques de pierre, devant le Rhamséion de la ville d’Ammon. »

Une voie antique de deux ou trois kilomètres nous conduit des pylônes de Sésostris aux ruines de Karnak ; à notre gauche brille le Nil, à demi couvert encore de l’ombre de sa rive orientale ; à droite, la montagne abaissée laisse venir à nous les premiers rayons ; çà et là de grands talus de débris qui s’en vont en salpêtre, ou bien un sphinx écroulé : un millier de ces bêtes sacrées bordaient la route, mais on n’en compte plus qu’une centaine. Bientôt l’immense série d’édifices se développe à nos yeux, joignant le Nil à la montagne arabique.

Cette partie de Thèbes occupait cent trente hectares, clos d’une enceinte en briques crues visible encore par endroits ; ce qui nous reste n’est pas le dixième de ce