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Devant nous, comme des lits de repos, s’étendent deux îles jumelles, Philæ et Béghé. Celle-ci, bordée de grosses pierres où de grands hiéroglyphes réjouiraient les yeux d’un égyptologue, longe la rive libyque ; l’autre, plus importante, plus belle aussi, montre avec fierté ses ruines dominées par un gracieux temple à jour. Asile où chaque voyageur caresse, une heure au moins, le projet d’un établissement durable, Philæ étend autour d’elle un cercle magique ; la pureté, de l’air, le charme de la verdure, la solitude, la paix profonde, sont les séductions de cette Armide innocente à qui l’on ne peut s’arracher.

Sur la rive nous attendait un vieillard, unique habitant et gardien fidèle de l’île enchantée. Et tandis que nous cherchions les traces que tant de siècles ont laissées sur ce petit point de la terre, il marchait devant nous, mêlant dans ses explications naïves Isis, Mahomet et Jésus, traitant d’émirs et de sultans les pharaons et les césars. Nous fîmes ainsi sous sa conduite le tour de l’île en nous dirigeant du midi au nord par la côte occidentale.

À la pointe sud, un petit obélisque sans pyramidion, sans hiéroglyphes, précède le temple d’Hator, moyen édifice hypæthre (à ciel ouvert) où l’on remarque des chapiteaux formés par des têtes de femmes aux oreilles de génisse. Hator partage avec Isis la souveraineté de Philæ ; ce sont deux déesses sœurs, deux noms du principe féminin, de l’amour et de la fécondité. Si l’épervier solaire et la couronne de fleurs bleues appartiennent plus particulièrement à Hator, elles ont en commun le disque, les cornes, la tête ou la figure entière de la génisse, animal qui leur est consacré. Toutes deux ressemblent à Vénus, à Cybèle, à la vache Io. Couronnées du disque et des cornes, elles semblent dire à leurs adorateurs : vous voyez sur notre tête l’emblème de la lumière, nous savons le secret de la vie et de la destinée ; mais ne cherchez pas à nous le ravir ! nous avons des armes pour le défendre.

Pylônes du temple d’Isis dans l’île de Philæ.

Deux colonnades de longueur inégale et dont la divergence progressive atténue l’erreur d’optique qui élève et rétrécit les objets à mesure qu’ils fuient vers l’horizon, relient le temple d’Hator aux pylônes du temple d’Isis. La plus importante, à l’ouest, compte trente-trois colonnes moyennes dont les fûts sont couverts d’entailles et dont les chapiteaux, variés avec art, ne se répètent jamais. Seize colonnes plus négligées forment la colonnade orientale ; et leur série semble s’être arrêtée devant un petit sanctuaire presque entièrement comblé et dédié à Imoutph-Esculape, fils d’Hator et de Phta. Vers le milieu de la galerie de l’ouest, un escalier dont l’entrée inférieure est souvent cachée par les eaux coupe le rempart continu et descend au bord du Nil. Ce pro-