Page:Le Tour du monde - 07.djvu/217

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temps pour prendre sur un grand dressoir placé derrière lui une foule de présents qu’il destine à Isis. Il est d’une gaucherie et d’une noblesse admirables. Il ne détourne pas de la déesse son œil de face sur sa tête de profil ; ses longues jambes forment compas ; ses grands bras, d’un mouvement symétrique et infaillible, vont du dressoir à Isis et d’Isis au dressoir. Lorsqu’on sort de la cour par le couloir de l’ouest, on débouche en face de Béghé, sous une colonnade qui est séparée du Nil par les débris du temple dont le portique forme la galerie occidentale de la première cour. Que de fois nous sommes venus là, près de ces piliers dont la base, sans avoir fléchi du milieu, présente des assises rangées selon des lignes légèrement courbes !

Les quatre pylônes et les deux cours annoncent dignement le grand temple d’Isis. Dix belles colonnes élancées, jadis couvertes de peintures dont on devine encore les couleurs, soutiennent un pronaos imposant, la merveille de Philæ ; plusieurs pièces couvertes de sculptures qui fourniraient aux artistes d’excellents modèles pour les vases, les attitudes, les costumes en usage au troisième siècle avant notre ère, forment le sanctuaire ; au fond on remarque une niche à épervier en granit rose : l’épervier d’Hator est aussi l’épervier d’Isis. Du côté du Nil, les murs extérieurs abondent en hiéroglyphes et en figures. Derrière le mur du fond, des fondations ruinées s’élèvent à peine au-dessus du sol, faites de dieux mutilés, sans tête ou sans jambes, selon la dimension de la pierre et le vide à remplir : ainsi, dans les murs du moyen âge, se retrouvent des bas-reliefs romains ; on reconnaît là les restes d’une église bâtie avec les ruines que les chrétiens avaient faites. Elle a moins vécu que les temples, ses aînés.

Devant nous, presque à l’extrémité nord, parmi des bouquets de palmiers, l’eau brillante nous apparaît sous les arcs de trois portes cintrées, et meurt sur les marches d’un escalier délabré. C’est la caserne ou l’arc triomphal de Dioclétien. En revenant par la rive orientale, nous atteignons enfin cette belle salle à jour qui, posée au-dessus du Nil sur une haute terrasse, attire invinciblement les yeux, le temple hypæthre d’Isis, formé de quatorze colonnes et d’une imposante architrave. La verdure qui l’environne en fait, un peu avant le coucher du soleil, un endroit divin pour la lecture ou la causerie. L’espace qui s’étend du pied de l’éminence au propylène de Nectanèbe est jonche de débris parmi lesquels se cache un petit sanctuaire consacré à Hator mère, pour sa délivrance ; à peine en voit-on le gracieux porche et les bas-reliefs tout noircis par le feu des voyageurs qui établissent en ce lieu leur cuisine et leur cheminée.

Beghieh.

Telles sont les constructions et les ruines qui couvrent presque entièrement l’île de Philæ, longue de 370 mètres, large de 240 ; mais les édifices à peu près conservés n’en occupent que la neuvième partie. Les temples d’Hator et d’Isis seraient facilement restaurés ; on pourrait arrêter la chute des autres. Et qu’on n’aille pas dédaigner ces débris à cause de leur âge relativement récent ; le site qu’ils décorent ne fait pas seul leur beauté. S’il est vrai que l’époque de Rhamsès ait vu s’élever la plupart des colosses et des édifices grandioses, l’avénement des Ptolémées fut le signal d’un réveil célèbre dans les lettres et les arts. Ce que les temples perdirent en énormité, ils le gagnèrent en mesure et en grâce. Nous abandonnerons plus volontiers peut-être au dédain des égyptologues les restaurations romaines ; mais l’influence grecque, moins brusquement imposée à l’architecture pharaonique, et plus de deux siècles avant la conquête d’Alexandre, sous Psammétique et Amasis, en a modifié les traditions sans en altérer l’esprit, sans en frapper les œuvres d’une empreinte étrangère. C’est ainsi que les pylônes se rattachent très-bien au temple d’Hator, élevé près d’un siècle avant par Nectanèbe ; et que le superbe pronaos du