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Tout fait croire, au contraire, que la civilisation américaine a eu des temps d’arrêt, longues phases de torpeur et d’engourdissement, où, repliée sur elle-même, elle est restée stationnaire, jusqu’à ce qu’une impulsion nouvelle lui fut donnée par la mère patrie, dont les navigateurs phéniciens, étrusques, arabes étaient alors les plus actifs mandataires. S’il en avait été autrement, on retrouverait chez tous les descendants des premiers colons asiatiques les formules exactes d’un même dogme, des mœurs identiques, une architecture absolument semblable. Or, entre les nations de la Nouvelle-Espagne et celles du continent méridional, si l’idée fondamentale du culte est toujours la même, chez les uns sous sa figure abstraite, chez les autres sous sa forme concrète ; si les traits généraux dans l’ordre physique et dans l’ordre moral sont communs aux deux groupes de nations, de façon à prouver la communauté de leur origine et de leur point de départ, il existe en même temps chez elles des différences assez tranchées pour les séparer hiérarchiquement et établir la suprématie des premières sur les secondes. Cette suprématie n’a d’autre cause que la scission qui dut s’opérer au principe entre ces nations et qui, nous l’avons dit plus haut, laissa les premières en communication avec les idées qui continuaient d’affluer du sud de l’Asie, tandis que les secondes, par leur éloignement progressif, cessèrent d’en ressentir l’influence ou ne la ressentirent que faiblement. On voit, en effet, après la séparation des deux groupes de peuples sur les plateaux du haut Mexique, les premiers se constituer gardiens et dépositaires de la tradition du passé, des mythes religieux et des idées cosmogoniques de l’Inde et de l’Égypte. Leur facies, la nuance de leur teint, leur chevelure lisse et nattée, leurs vêtements blancs ou bariolés de couleurs vives, tout en eux rappelle les races namou et rot-enne-rôme et le double rameau sémitique et japétique dont elles sont issues. Les chefs pontifes qui gouvernent ces peuples et régissent leur culte, les rois législateurs qui leur donnent des lois, sont des hommes à longue barbe, aux vêtements amples et flottants, qui semblent continuer en Amérique les castes théocratique et guerrière de l’Orient. Des siècles s’écoulent depuis le départ de ces peuples des régions ou ils ont pris naissance. Établis sur un continent nouveau, ils continuent de recevoir de la vieille Asie, l’alma parens, les germes d’une civilisation progressive. L’écriture hiéroglyphique est naturalisée chez eux. L’usage du papyrus (maguey) y est introduit. Leur architecture, qui s’était bornée à copier de mémoire les lourdes maçonneries primitives de l’Inde et de la haute Égypte, entre dans une voie nouvelle ; tout en conservant aux temples, aux palais, aux monuments les formes hiératiques et immuables des anciens édifices, cette architecture, renaissance de l’art, couvre leurs murs d’une ornementation élégante et compliquée où se retrouvent les délicates fantaisies du style grec de l’époque macédonienne. Les monuments deTéotihuacan dans l’État de Mexico, ceux de Culhuacan, de Guatusco et de Papantla dans l’État de Chiapa, le temple de Chichen-Itza dans le Yucatan, nous sont restés comme de magnifiques spécimens de l’art américain différentes époques[1].

Sous la dynastie des empereurs aztèques, la civilisation américaine atteint son apogée. Cérémonies du culte, pompes extérieures, lois somptuaires, tout y revêt ce luxe insensé des satrapies persanes, auquel¢ Fernand Cortès va mettre un terme, comme, dix-neuf siècles avant lui, l’avait fait Alexandre le Grand à l’égard des provinces de la Médie, de la Babylonie et de la Perse.

Si des premiers peuples nous passons aux seconds, nous les verrons après leur séparation du groupe primitif et leur introduction sur le continent sud, errer à travers les régions boisées du Vénézuela et de la Guyane, laissant sur les rochers de l’Orénoque et du Cassiquiare, sur les bords du rio Cauca, comme une attestation figurée de leur passage. Parmi ces hordes voyageuses, il en est qui font une halte de plusieurs siècles sur les plateaux de Bogota ; d’autres stationnent sous l’équateur et fondent dans le pays de Lican la dynastie des Conchocandos ; d’autres enfin poursuivent le cours de leurs migrations jusqu’au lac de Chucuytu et couvrent les alentours de Tiahuanacu de temples et de monuments. Observons en passant, qu’à mesure que ces peuples s’éloignent du foyer de culture intellectuelle dont la Nouvelle-Espagne est restée le centre, la notion pure du passé s’use et s’oblitère de plus en plus chez eux. Livrés à leurs propres forces, sans communications avec le reste du monde, se dérobant par leur éloignement à toute influence civilisatrice, ils retombent par degrés dans un état de décadence relative.

Le flambeau du progrès fut rallumé au Pérou par cette dynastie des Incas qui y importa le culte et les traditions déjà presque effacés de l’antique Orient.

La tradition locale dégagée des nuages qui l’enveloppent, fait sortir Manco-Ccapac et sa sœur Mama Ocllo, des vallées chaudes situées au delà de la Cordillère, à l’est du lac de Titicaca. Ces vallées comprises entre Apolobamba et les sources du rio Beni, appartiennent aujourd’hui à la Bolivie et sont communément désignées par le nom de Yungas de la Paz.

Porteur d’une verge d’or, emblème du pouvoir[2], le nouvel Horus, pasteur des peuples à venir, s’avance à travers les punas du Collao, suivi de sa compagne, et après une marche de quatre-vingts lieues dans la direction du nord-ouest, arrive sur les hauteurs de Huanacoté (aujourd’hui Huanacori) d’où il découvre une vaste quebrada circulaire entourée de montagnes, qu’il choisit pour lieu de résidence. La ville qu’il bâtira plus tard au centre de cette quebrada, portera le nom de Ccozcco, qui signifie point d’attache ou nombril.

Bientôt les peuplades des environs accourent à la voix de l’Inca, et subjuguées par le charme de sa parole et la

  1. Voy. tome V, premier semestre de 1862.
  2. Quelques modernes ont parlé, mais a tort, d’un coin d’or. — Les textes espagnols concordants à l’égard de — una vara de dos pies de large y un dedo de grueso — ne comportent pas d’équivoque.