Page:Le Tour du monde - 07.djvu/277

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vapeur, lequel, sans cette précaution, ferait éclater la machine. Ces prieurs sont, en général, des hommes aguerris aux combats de la vie et trempés comme un pur acier dans la fournaise des passions. Tous ont été ou sont encore en butte aux obsessions du malin esprit. Si la plupart succombent sans même essayer de combattre, c’est qu’ils sont persuadés à l’avance que toute résistance de leur part serait inutile, « Dieu, disent-ils, n’ayant pas fait l’homme et le démon de force égale. »

L’un d’eux, déjà promu de son vivant à la canonisation, que nous avons beaucoup connu, mais que nous ne nommerons pas pour épargner sa modestie, avait été victime d’une de ces passions terribles qui bouleversent l’existence et que le Seigneur inflige à ses élus pour les avancer dans la voie de la perfection. Cette passion avait été, pour le prieur dont nous parlons, une source de mille maux en même temps qu’une occasion de prodigalités folles. Après avoir dévoré l’épargne de la communauté et criblé d’hypothèques les biens-fonds du couvent, il avait, disaient ses ennemis, — qui de nous, hélas ! n’a les siens ? vendu à un orfévre de la rue des Plateros une statue de saint Michel archange en argent massif, de grandeur naturelle, et qui, depuis deux siècles qu’elle ornait une chapelle de l’église, faisait l’orgueil de la communauté et l’admiration des fidèles. Le public dévot s’émut de l’affaire. Comme l’évêque se disposait à ouvrir une enquête, l’image qu’on disait vendue et déjà fondue en lingots se retrouva un beau matin dans la niche qu’elle occupait. Le prieur fut porté aux nues. En vain ses ennemis prétendirent qu’une quête faite à propos parmi les personnes du sexe lui avait permis de racheter le saint Michel de son couvent ; le bon sens public fit justice de cette infâme calomnie, et la réputation de sainteté de ce prieur grandit subitement de cent coudées.

Jardin du couvent de Santa-Clara, à Cuzco.

Les moines de Cuzco, s’ils n’ont ni les formes moelleuses, ni le ton melliflu que donne l’usage du monde, ni cette propreté vulgaire que saint Augustin nomme une vertu et que leurs frères en religion d’Arequipa poussent jusqu’au scrupule, suppléent à l’absence de ces qualités par une rondeur de manières, une franchise de langage, une appréciation nette et accentuée des hommes et des choses, qui mettent l’étranger à l’aise auprès d’eux. Chez les moines d’Arequipa, la forme l’emporte sur le fond. Chez ceux de Cuzco, le fond prédomine sur la forme.

Le parallèle que nous établissons entre les couvents d’hommes des deux cités peut s’appliquer, avec quelques modifications, à leurs communautés de femmes. Moins bien douées par la nature et l’éducation que les nonnes d’Arequipa, les religieuses de Cuzco n’ont avec le monde aucune de ces relations d’amitié, de convenance ou de curiosité que les premières ont su se créer avec lui et