Page:Le Tour du monde - 07.djvu/291

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sos signala le troisième jour. La place du Cabildo, où les porteurs d’eau vont emplir leurs cruches à toutes les heures du jour et se livrer à d’innocents commérages, avait été transformée en cirque et garnie de six rangs de gradins. De midi à quatre heures, douze taureaux dont les cornes avaient été sciées et garnies de tampons, pour prévenir un accident, disait le programme, l’art de la tauromachie étant encore dans l’enfance à Cuzco, furent lâchés dans l’arène et culbutèrent quelques chulos vêtus de satin blanc et vert. Comme quatre heures sonnaient, une escouade d’une trentaine de soldats habillés de gris et coiffés de bonnets de police en calicot blanc, entrèrent dans le cirque aux sons d’une musique belliqueuse et bruyante, s’alignèrent au centre, puis, après un temps d’arrêt mêlé de portez arme et de présentez arme, commencèrent à tourner sur eux-mêmes, comme des totons, se croisant, se mêlant, s’enlaçant avec une précision remarquable, portant sans cesse la main à leur giberne et en retirant, en guise de cartouches, des poignées de fleurs effeuillées qu’ils laissaient tomber sur le sol. Leur évolution chorégraphique plutôt que stratégique terminée, ces défenseurs de la patrie saluèrent poliment à la ronde et sortirent à reculons. Alors le public put voir sur le sable jaune de l’arène, écrits en majuscules fleuries longues de deux mètres, ces trois mots : VIVA EL PERU ! Un tonnerre d’applaudissements, qui fit trembler les gradins du cirque, salua ce joli tour à la Robert Houdin.

Évolutions de soldats dans le cirque de la place du Cabildo, à Cuzco.

À défaut de plaisirs réels, Cuzco a des gaietés et des distractions à chaque coin de rue pour les oisifs, les observateurs et les peintres de mœurs locales. De ce nombre sont les petits métiers et les petites industries, les reposoirs de la Fête-Dieu et les mascarades typiques, les assommeurs jurés de la police et la vérification, sur place, des chiens assommés dans la matinée du lundi.

Mentionnons en première ligne les marchands de chicharrones, résidus de porc sautés dans la graisse ; les marchands de pains au beurre et de pains au saindoux, les industriels habituellement accroupis contre le pilier d’une galerie ou sous l’arceau d’une porte cochère. Dans cette catégorie sont comprises les laitières, assises sur le seuil de l’église des Pères de Jésus, où elles attendent la pratique dans une attitude de sphinx, buvant de temps en temps, pour se distraire, quelques gorgées de lait à même le pot ou la cruche où il est contenu ; les bouchères de la plaza Mayor, dont l’étal est un simple torchon étendu à terre, retenu par quatre pavés, et sur lequel des côtelettes, des beefsteaks, des filets, arrachés de la bête plutôt que coupés au couteau, provoquent l’appétit des amateurs de rôti ou de pot-au-feu. En général, les guenilles de ces marchands et leur marchan-