Page:Le Tour du monde - 07.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme celles de l’Égypte, étaient difficilement accessibles ; et ceux des peuples voisins qui, par la guerre ou le commerce, auraient pu nous transmettre d’utiles informations, n’eurent avec elles que des rapports d’une date relativement récente. Aucun des écrits où ces informations étaient déposées n’est d’ailleurs arrivé jusqu’à nous. Tout au plus nous en a-t-on transmis des fragments ou des extraits mutilés. Les livres juifs, entre l’époque de Salomon et celle de Cyrus, font mention de plusieurs rois avec lesquels les royaumes d’Israël et de Juda eurent des rapports hostiles ; ces mentions, quoique accidentelles et sans suite, sont pour nous d’une grande valeur en ce qu’elles fournissent de précieux jalons chronologiques. L’Histoire d’Assyrie qu’avait écrite Hérodote est perdue ; de celle de Ctésias, qui avait puisé aux archives d’Ecbatane, nous n’avons que l’imparfaite analyse de Diodore ; l’Histoire de Bérose, enfin, la plus précieuse de toutes, parce qu’elle était l’ouvrage d’un prêtre babylonien écrit d’après les sources indigènes, ne nous est également connue que par quelques extraits de Flavius Joseph et par les listes de rois des chronographes chrétiens. Ces données éparses, encore altérées par les copistes du moyen âge, sont insuffisantes pour reconstruire une histoire suivie ; elles présentent, en outre, des obscurités, des contradictions et des difficultés qu’elles ne fournissent pas les moyens de résoudre, et qui ont fait le désespoir des chronologistes.

Les faits que, dans cette pénurie des textes, on peut regarder comme à peu près certains, se peuvent résumer en peu de mots.

La chronologie de Bérose, qui paraît s’être appuyée sur une série continue d’observations astronomiques, remontait à mille neuf cent trois ans avant l’entrée d’Alexandre à Babylone. C’est en l’année 331 que le vainqueur de Darius entra pour la première fois dans la grande cité ; ces dates nous portent à une ère initiale de 2234 ans avant Jésus-Christ. Une durée de près de 2000 ans est déjà, pour la monarchie babylonienne, une antiquité assez respectable. Elle est cependant bien loin de conduire aux véritables commencements de Babylone ; car la date de 2234 est presque contemporaine d’Abraham, et dès le temps d’Abraham, comme on le voit par les récits et les traditions déposés dans la Genèse, les origines de Babylone, aussi bien que celles de Ninive, se perdaient déjà dans un passé immémorial. Pour Bérose ces premiers temps appartenaient à la fable et aux légendes cosmogoniques.

Dans cette période historiquement certaine de dix-neuf cent et quelques années, Babylone et Ninive avaient toujours formé deux États distincts, mais non pas toujours séparés. On a tout lieu de croire (d’après les monuments découverts sur le bas Euphrate) que dans les anciens temps les rois de Babylone avaient dominé sur l’Assyrie ; plus tard, ce furent les rois d’Assyrie, qui dominèrent sur Babylone. Les données empruntées à Ctésias sur l’histoire de l’Assyrie, si elles étaient plus suivies et plus entières, compléteraient ici celles de Bérose ; mais Diodore, dans ses extraits, s’est borné à quelques noms et à un petit nombre de faits. Le fondateur de l’empire est Ninus, qui étendit ses conquêtes d’un côté jusqu’à la Bactriane, de l’autre jusqu’à la mer Occidentale, c’est-à-dire à la Méditerranée. Après lui régna la reine Sémiramis, le nom le plus fameux des vieilles traditions asiatiques. Sa domination s’étendit, nous dit-on, jusque dans l’Inde et en Éthiopie. Elle agrandit Babylone ; elle couvrit l’Asie de villes nombreuses et de splendides monuments. De même qu’au moyen âge toutes les constructions anciennes étaient, pour les habitants de nos provinces du Nord, des ouvrages de Brunehaut, en Médie et en Assyrie tous les monuments qui frappaient par leur grandeur étaient des ouvrages de Sémiramis. On citait parmi ces merveilles les remparts de Babylone, ses jardins suspendus, le temple de Bel, et le tombeau de Ninus, aux portes de Ninive, élevé sur un monticule artificiel de dimensions prodigieuses. Un nom célèbre à d’autres titres était celui de Sardanapal. Ce nom est resté, même pour nous, l’emblème d’une vie efféminée, noyée dans le luxe énervant et dans les raffinements de la débauche. Une épitaphe attribuée à Sardanapal lui-même énumérait en termes cyniques les jouissances matérielles de la terre, et les présentait comme le souverain bien, comme le but final de la vie. Ce Sardanapal, selon la tradition, aurait été le dernier roi de la dynastie. Les gouverneurs ou les princes tributaires des provinces conquises, le roi de la Bactriane, Arbacès, gouverneur de la Médie ; Bélésis, vice-roi de Babylone, se seraient ligués contre un souverain que sa mollesse et ses débauches avaient rendu méprisable, Ninive aurait succombé sous leur formidable coalition, Sardanapal se serait donné la mort sur un bûcher, et la monarchie ninivite aurait été démembrée. Cet événement, d’après le rapprochement des données chronologiques, dut avoir lieu en l’année 747 avant Jésus-Christ, date qui est aussi celle d’une ère célèbre connue sous le nom de Nabonassar, chef de la nouvelle dynastie babylonienne. Le royaume assyrien fut alors réduit à ses limites propres, et une nouvelle famille monta sur le trône.

Quelles que soient en tout ceci les obscurités de détail (on verra tout à l’heure quelles notions positives ressortent des inscriptions nouvellement découvertes), un grand fait au moins se détache avec toute certitude : c’est la prise de Ninive par les coalisés de 747, et le démembrement de l’empire. L’histoire d’Assyrie se partage ainsi en deux périodes : l’ancienne monarchie, antérieure à 747, et la nouvelle monarchie, qui date de 747 et dure cent trente-neuf ans, jusqu’à la seconde prise de Ninive et à sa destruction complète en 608.

Cette grande catastrophe fut amenée par l’ambition même et les entreprises croissantes des princes de la nouvelle monarchie. Un demi-siècle ne s’était pas écoulé depuis le désastre de 747, que déjà les nouveaux rois de Ninive avaient reconquis en partie la prédominance de leurs prédécesseurs sur l’Asie occidentale. L’Arménie,