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Page:Le Tour du monde - 07.djvu/357

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Quand je fus en selle, j’eus le loisir d’examiner notre escorte. Le sultan et ses fils montaient de magnifiques animaux. L’aîné tenait le faucon qu’on devait lancer sur le gibier ailé. Un Kirghis à cheval s’était chargé de l’aigle noir, enchaîné sur un socle fixé sur la selle. Le bearcoote était fort tranquille sous ses chaînes et son chaperon ; deux hommes d’ailleurs avaient reçu l’ordre de le surveiller. Près du sultan étaient ses trois chasseurs ou gardes, armés de leurs carabines, et autour de nous une bande d’environ vingt Kirghis enveloppés dans leurs kalats à couleur voyante : plus de moitié étaient armés de haches de combat. Vus d’ensemble nous formions un groupe d’une physionomie étrange, que beaucoup, sans doute, auraient préféré regarder de loin que d’approcher de trop près.

Nous nous dirigeâmes d’abord presque droit à l’est ; les trois chasseurs du sultan faisaient l’avant-garde ; venaient ensuite Sa Hautesse et moi ; ses deux fils et les gardiens de l’aigle nous suivaient immédiatement ; deux de mes gens fermaient la marche. Une course de trois heures nous mena sur les bords d’un cours d’eau stagnante hérissé de roseaux et de buissons, où le sultan espérait que nous trouverions du gibier.

Bearcoote chassant le mouflon. — D’après Atkinson.

En effet, plusieurs cerfs de haute taille débuchèrent bientôt d’un champ de roseaux faisant saillie dans la plaine, à peu près à trois cents mètres de nous. À l’instant, le bearcoote fut déchaperonné et débarrassé de ses liens ; il s’élança de son socle et prit son essor dans l’espace, s’élevant et volant circulairement au-dessus de nous ; il me faisait l’effet de n’avoir pas aperçu sa proie ; mais je me trompais : il était en ce moment à une hauteur considérable. Pendant une minute il parut immobile, ensuite il battit deux ou trois fois des ailes, puis fondit en ligne droite sur sa proie. Je ne pouvais distinguer le mouvement de ses ailes, mais il avançait avec une vitesse effrayante. Il y eut un cri d’allégresse ; les gardiens de l’aigle partirent au grand galop, suivis de beaucoup d’autres. Je fis tourner la tête de mon cheval et le touchai de ma cravache. En quelques minutes, je marchai de front avec l’avant-garde, côte à côte avec l’un des gardiens de l’aigle. Nous étions à deux cents mètres du bearcoote quand il frappa sa proie. Le cerf fit un bond en avant et tomba. L’aigle lui avait enfoncé une serre dans le cou, l’autre dans le flanc, que fouillait son bec, pour en arracher le foie. Le Kirghis santa de son cheval, jeta le chaperon sur la tête de l’aigle, des liens autour des jambes, et lui fit lâcher prise sans difficulté. Le gardien remonta en selle, son assistant replaça l’oiseau sur son socle : il était prêt à fournir une nouvelle course. Quand on chasse avec l’aigle, on ne prend pas de chiens, car ils périraient certainement. Les Kirghis assurent que leur aigle est de force à attaquer un loup et le tuer. Ils chassent le renard de cette manière et en prennent beaucoup, ainsi que des chèvres sauvages et autres animaux de moindre taille.

À quelque distance de là, on aperçut une troupe de petites antilopes en train de paître dans la plaine. L’aigle s’éleva derechef en tournant au-dessus de nos têtes comme auparavant ; de même aussi il fondit comme le destin sur sa victime désignée : l’animal était mort avant que nous fussions arrivés jusqu’à lui. Le bearcoote ne part jamais en vain ; à moins que’animal ne gagne un trou de rocher, comme il arrive parfois aux renards, la mort est son partage certain.

J’ai vu plus tard dans les monts Alataus ces terribles accipitres, à l’état de liberté, emporter dans leurs serres puissantes de jeunes argalis, ou suivre, avec la rapidité de la foudre, dans leur chute fatale des argalis adultes qu’ils avaient précipités de quelque haute paroi.

La journée tout entière s’écoula ainsi dans la poursuite et la capture de gibier de toute sorte, et il était tard lorsque nous aperçûmes la fumée de l’aoul où nous devions passer la nuit. On pressa les chevaux, et en peu de temps nous nous trouvâmes assis dans la yourte du sultan, où du koumis ne tarda pas à circuler de main en main dans de grands vases. J’avouai ma préférence