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était convenu, elle les incorporait dans ses régiments, toujours incomplets. L’armée et les galères se mêlaient si bien qu’on ne savait plus, en rencontrant un soldat isolé dans la campagne, si c’était un forçat en congé ou un militaire en rupture de ban.

Fuad-pacha, qui dirigeait ces opérations avec une habileté au-dessus de tout blâme, affectait de traiter légèrement les questions les plus graves.

« Voyez-vous, mon cher, disait-il un jour à l’un de mes amis, Druses, musulmans, Métualis, maronites, je les mets tous dans le même sac, et, ajouta-t-il en riant, je n’ai qu’un regret, c’est de ne pouvoir jeter ce sac-là à la mer. »

Certes, si une puissance honnête quelconque eût voulu, réalisant ce désir, se débarrasser de tout ce qui avait joué un rôle peu honorable dans les massacres de 1860, je ne doute pas qu’elle n’eût trouvé, elle aussi, dans le même sac, une petite place pour le ministre ottoman.


II

Populations de la Syrie. — Fouilles exécutées à Byblos. — Résultats. — Vie de la compagnie des chasseurs à Djébel.

La Syrie est peut-être, de tous les pays du monde, celui où le plus de races et de religions différentes sont rassemblées dans un plus étroit espace.

Grotte sépulcrale de la nécropole de Djébel. — Dessin de A. de Bar d’après une photographie de M. Lockroy.

Bien qu’un peu partout dispersés, les maronites, chrétiens soumis à l’Église romaine, habitent plus spécialement le versant occidental du Liban, depuis Beyrouth jusqu’à Tripoli. Les Druses, dont la religion si célèbre a pour secret de n’en avoir aucune, peuplent le Métu, le Hauran et quelques parties de l’Anti-Liban. Les Métualis, musulmans chiites, venus de Perse, s’étendent au sud, dans les districts de Saïda, de Sour, jusqu’auprès de Saint-Jean-d’Acre, au nord, dans la plaine de Baalbek, et sur tout le versant est du Liban. À partir de Tripoli enfin jusqu’à Antioche, on trouve des Ansariés, peuplade peu connue, divisée en plusieurs sectes, dont la plus célèbre fut celle des Hadchachins, qui avait pour chef le Vieux de la montagne. Viennent ensuite les Bédouins, les Kurdes, les Turcomans ; ceux-là ne font guère que passer ; puis les juifs, les Arméniens, catholiques et schismatiques, les Grecs catholiques et schismatiques, les Chaldéens catholiques et schismatiques, les musulmans de race arabe et les Turcs. Toutes ces races, toutes ces religions sont mêlées dans le pays. Elles y ont vécu côte à côte pendant des siècles, sans que le voisinage, la cohabitation, pour ainsi dire, ait pu amoindrir les haines qu’elles se portaient mutuellement.

D’après les meilleures statistiques, le nombre des maronites s’élèverait à cent cinquante ou deux cent mille âmes, celui des Druses à soixante ou soixante-cinq mille, celui des Métualis à quinze ou vingt mille, celui des musulmans à huit ou dix mille seulement.

Dans les villes du littoral on trouve la population levantine : cette population est, en général, le résultat d’un mélange d’Arabes, d’Italiens, de Grecs et de Maltais. Elle existait dès la plus haute antiquité. Se recrutant sans cesse dans les États riverains, elle s’est répandue sur toutes les côtes, et une même famille commerçante se donne aujourd’hui la main du mont Liban au détroit de Gibraltar. Les hommes qui la composent, issus de races étrangères au pays où ils sont nés, n’éprouvent pour lui que peu d’affection. Voyageurs, ils n’ont point pour s’en souvenir une langue maternelle, ce présent que nous fait la patrie pour que nous ne puissions l’oublier ni pendant l’absence, ni dans l’exil. Leurs commis leur ont refait une famille ; les comptoirs de Malte, de Constantinople ou d’Alger leur ont donné des concitoyens. La mer Méditerranée n’est plus que la grande place d’une petite ville ; elle est devenue essentiellement cancanière. On connaît jour par jour à Gibraltar ce que fait M. A… à Smyrne ; on s’entretient