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rencontre, tandis qu’un autre se mit à galoper en sens opposé. On nous avait aperçus et on allait annoncer au chef l’arrivée d’étrangers armés.

Bientôt quatre Kirghis nous abordèrent ; après l’échange de l’aman, ils nous adressèrent une série de questions, désirant savoir qui nous étions et où nous allions. Il eût été fort difficile à chacun de nous d’expliquer qui nous étions ; mais il fut répondu à leur dernière question qu’on désirait aller à l’aoul de Koubaldos. Ils tournèrent bride aussitôt, et nous accompagnèrent, en prenant la route du sud. Entre notre escorte et eux s’établit ensuite une courte conversation à l’issue de laquelle deux d’entre eux partirent à toute vitesse, tandis que nous les suivions au pas. Deux verstes plus loin, j’aperçus l’aoul, d’où plusieurs hommes accouraient à notre rencontre ; nos chevaux ayant alors été mis au trot, nous les rejoignîmes en peu de temps. Ils descendirent et nous saluèrent, puis deux d’entre eux vinrent à moi, et se plaçant de chaque côté de mon cheval, se mirent en devoir de m’escorter. La distance n’était pas grande. Je remarquai que le campement était fort étendu ; il contenait vingt-sept yourtes, dont plusieurs avaient leur porte ornée de lances.

Les Kirghis me conduisirent à l’une de ces demeures devant laquelle se tenait un homme de haute taille, vêtu d’un kalat de velours noir, portant un bonnet cramoisi garni de fourrures et la taille ceinte d’une écharpe de même couleur cramoisie. Il fit quelques pas en avant, prit les rênes de mon cheval, et me présenta la main pour descendre de la manière accoutumée. Quand je fus à terre, il me toucha la poitrine de sa main droite et de sa main gauche, puis il m’introduisit dans sa demeure. Me voilà assis en face du grand chef de voleurs Koubaldos, dont j’avais beaucoup entendu parler, car sa renommée s’était répandue au loin dans l’Asie centrale. Tant qu’il était resté debout, je l’avais cru de haute taille, mais une fois assis, je remarquai qu’il n’avait que la mienne, c’est-à-dire cinq pieds onze pouces (1 m. 80 cent.). Les talons de ses bottes, hauts de deux pouces, m’avaient induit en erreur. Il me fit asseoir sur un tapis et se plaça vis-à-vis de moi : dix à douze de ses gens se placèrent derrière lui. Il était facile de voir que mon visage, ma physionomie et mon accoutrement étaient l’objet d’un examen rapide de la part de chacun de ceux que j’avais en face ; ils m’intéressaient du reste au même degré. En ce moment, deux jeunes garçons apportèrent le thé dans la yourte ; une table basse fut posée devant moi ; j’invitai mon hôte à s’asseoir à mon côté. Entre nous égalité parfaite ; pour les gens de Koubaldos nous étions deux sultans, car ils me considéraient comme le chef de ma troupe. Le thé fut servi dans de petits vases de Chine ; du sucre candi et des fruits confits furent également placés devant nous dans des plats de même origine que les vases. Mon hôte me choisit lui-même des fruits, il était fort attentif à me servir, tout en se partageant lui-même avec libéralité : j’imitai son exemple.

Campement de nuit (voy. p. 364). — D’après Atkinson.

Deux Cosaques et Tchuck-a-boi étaient assis à quelque distance. Les enfants servirent aussi le thé à mes gens, ainsi qu’à trois ou quatre Kirghis placés en avant. On leur donna du sucre candi, mais pas de fruits. Quand nous eûmes fini, les autres Kirghis prirent leur part du thé. Alors Koubaldos s”enquit de ma visite, et demanda où j’allais. Je fis répondre par un Cosaque que j’allais à Tchin-si, et que je n’avais pu traverser la contrée sans offrir mes civilités à un chef aussi renommé que lui. J’ajoutai que j’avais aussi l’intention de faire une visite au sultan Sabeck, et de continuer de là mon voyage vers Tchin-si. Il s’informa si j’avais quelque chose à vendre, et on lui répondit que non. Il s’enquit alors si j’allais acheter quelque chose à Tchin-si. La réponse — jock ! — parut l’étonner beaucoup. Il désira connaître pourquoi nous avions tant de carabines et d’armes. Ma réponse fut que c’était pour nous défendre d’abord et afin de tuer du gibier pour notre subsistance. Il exprima le désir d’acheter mon pistolet, mon fusil à deux coups et deux carabines. Le Cosaque laissa de nouveau échapper le mot — jock ! — avec beaucoup de force. Sa demande de poudre et de balles n’obtint pas plus de succès. Le Cosaque se tourna de mon côté et me dit : « Si nous en agissions ainsi, il essayerait de nous tuer immédiatement. »

J’ouvris mon album in-folio et lui montrai quelques esquisses coloriées. Il considéra une vue de yourte avec des chameaux aux alentours et s’y intéressa vivement, mais il ne voulut pas consentir à ce que je fisse son portrait. Tandis qu’on faisait cuire deux moutons, Koubaldos parut très désireux de me voir essayer mon fusil à deux coups. Il s’imaginait évidemment que les deux ca-