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des cases des habitants, sont percés de deux portes opposées, par lesquelles entrent et sortent librement les divinités du lieu. La voûte de l’édifice, formée de branches d’arbres entrelacées qui soutiennent un toit d’herbes sèches, est constamment tapissée d’une myriade de serpents que je pus examiner à mon aise. Tous appartiennent, comme doit bien le supposer le lecteur, à des espèces inoffensives, car ils sont dépourvus des crochets canaliculés dont la présence caractérise les serpents venimeux. Leur taille varie d’un à trois mètres ; ils ont le corps cylindrique, fusiforme, c’est-à-dire un peu renflé au milieu, et se terminant insensiblement par une queue formant le tiers à peu près de la longueur totale de l’animal. La tête est large, aplatie, et triangulaire à angles arrondis, soutenue par un cou un peu moins gros que le corps. Leur couleur varie du jaune clair au jaune verdâtre, peut-être selon leur âge. Les uns (c’est le plus grand nombre) portent sur le dos, dans toute leur longueur, deux lignes brunes, tandis que d’autres sont irrégulièrement tachetés. Ces différents caractères me font penser qu’ils appartiennent tous aux diverses espèces de reptiles non venimeux que Linné avait rassemblées dans les familles des pythons et des couleuvres. La queue allongée et prenante, et la facilité à grimper de quelques-uns d’entre eux, pourraient les faire admettre dans le genre Leptophis de la famille des Syncrantériens, (coluber de Linné), de Duméril et Bibron.

Vue extérieure du temple des serpents, à Wydah. — Dessin de Foulquier d’après M. Répin.

Quoi qu’il en soit, le nombre de ces animaux, lors de ma visite, pouvait bien s’élever à plus d’une centaine. Les uns descendaient ou montaient enlacés à des troncs d’arbres disposés à cet effet le long des murailles ; les autres, suspendus par la queue, se balançaient nonchalamment au-dessus de ma tête, dardant leur triple langue et me regardant avec leurs yeux clignotants ; d’autres enfin, roulés et endormis dans les herbes du toit, digéraient sans doute les dernières offrandes des fidèles. Malgré l’étrangeté fascinante de ce spectacle et l’absence complète de tout danger, je me sentais mal à l’aise au milieu de ces visqueuses divinités, et, comme au sortir d’un mauvais rêve, je laissai échapper en quittant le temple un soupir de soulagement.

Il n’est pas rare de voir dans les rues de la ville quelques-uns de ces animaux sacrés promenant leurs loisirs. Quand les nègres les rencontrent, ils s’en approchent avec les plus grandes marques de respect et, en se traînant sur les genoux, les prennent dans leurs bras avec mille précautions, s’excusant de la liberté grande, et les reportent dans leur temple de crainte qu’il ne leur arrive quelque fâcheux accident. Malheur à l’étranger ignorant ou imprudent qui les maltraiterait ! il payerait cet outrage de sa vie. On m’a raconté qu’il y a quelques années, un employé récemment débarqué avait fait feu, dans la cour du fort, sur un de ces animaux qu’il prenait pour un serpent ordinaire. Malgré le soin qu’on eut de tenir l’affaire secrète, il en transpira quelque chose, et il fallut acheter chèrement le pardon des prêtres offensés. Mais il est probable que, si le crime eût été commis dans les rues de la ville, le fanatisme populaire, de moins facile composition que la conscience des prêtres, en eût tiré une sanglante vengeance.

Ces prêtres habitent, près du temple des serpents, une des plus vastes cases de la ville, dans laquelle ils vivent grassement des offrandes des fidèles et du produit de leur double industrie de médecins et de sorciers. Ils jouissent d’une influence considérable bien qu’occulte, car ils paraissent étrangers aux affaires, et nous ne les avons vus ni dans les conseils du roi ni dans ceux du vice-roi de Wydah. Ils semblent même s’être fait une loi de cette existence isolée et mystérieuse. Je désirais cependant avoir quelques rapports avec eux, d’autant plus qu’on m’avait vanté différents remèdes dont ils possèdent le secret, soit contre le ver de Guinée, soit contre la morsure des serpents venimeux. Ils composent en outre, avec le jus de certaines herbes, les poisons les plus subtils.

Bien que j’ajoutasse peu de foi à ces assertions, j’étais néanmoins curieux de les vérifier ; mais, malgré l’offre de cadeaux importants et de médicaments précieux, il