Page:Le Tour du monde - 08.djvu/108

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Tampu ; Nous ne tardâmes pas à atteindre l’extrémité nord du plateau ; de cet endroit, l’œil, plongeant au fond d’un cirque immense entouré de montagnes roides, aiguës, contrefaites, découvrait à la fois, groupés dans son enceinte, le village moderne d’Ollantay, les ruines du Tampu et les antiques carrières ; un torrent de neige fondue, descendu des hauteurs, jetait son mouvement, son bruit et son écume à travers ce tableau inondé de soleil, et s’allait perdre dans la rivière, dont le calme placide contrastait avec l’impétuosité de son affluent.

Lors de ma première visite à Ollantay-Tampu, en compagnie de feu Pedro Diaz, j’avais vu d’en bas, comme tout le monde, le site qu’à cette heure je regardais d’en haut à la façon des vautours et des hirondelles. La situation était assez neuve et le point de vue assez original, pour que je désirasse mettre l’une à profit et reproduire l’autre. Je sautai donc à bas de ma monture, je pris mon album et mon livre de notes, et j’allai m’asseoir au bord du plateau. Là, tout en taillant mon crayon et prenant possession des lieux par le regard et la pensée, je priai José Benito de retirer des sacoches quelques provisions et de les étaler sur l’herbe, afin que, lorsque la besogne que j’allais entreprendre serait terminée, je n’eusse qu’un quart de conversion à faire pour me trouver en face de mon déjeuner.

Le tableau que j’avais sous les yeux embrassait en étendue quinze lieues de pays et comprenait les gorges de Silcay, les hauteurs d’Habaspampa, les haciendas de Tarontay, Runura, Chilca, Tancac, Piri et Pacnar, jusqu’à Urubamba. Du nord au sud, une ligne de montagnes à pentes douces bornait l’horizon ; à leur pied coulait la rivière. Comme ce panorama était trop vaste pour être reproduit en entier, que d’ailleurs l’œuvre de la nature m’importait moins en ce moment que le travail de l’homme, je mis de côté le paysage et ses beautés diverses pour ne m’occuper que des détails d’architectonique ou d’ethnographie qu’il pouvait offrir. Tout en travaillant, je songeais au pauvre Pedro Diaz et à la façon dont il avait détruit mes illusions archéologiques au sujet de la prétendue ville antique d’Ollantay, que sur la foi d’un traité de géographie j’étais venu chercher d’assez loin.

Pont de Mimbres, entre Urubamba et Ollantay-Tampu.

Je me rappelais, comme si c’eût été d’hier, l’étrange bouleversement qui s’était opéré en moi à l’heure où mon compagnon, m’épelant la phrase du texte et me faisant toucher la chose du doigt, m’avait démontré jusqu’à l’évidence que ce que dans mon enthousiasme ingénu je prenais pour des pylones, des stèles, des pyramidions, des spéos et des syringes, n’étaient que les débris des carrières creusées par des Indiens du temps de la Gentilidad. De la désillusion complète que j’avais éprouvée ce jour-là, il était ressorti pour moi cette vérité sous forme d’axiome : qu’il est toujours imprudent de croire un sa-