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corde à bagages et un arçon de bât de rechange. Ces chameliers étaient tous armés.

En résumé, nos effectifs étaient :

150 cavaliers.

280 chameliers fantassins.

160 chevaux y compris ceux en main.

860 chameaux.

La réunion eut lieu le 24 février 1862 à Géryville. Une inspection fut faite des vivres de chacun, et ceux dont les provisions furent reconnues insuffisantes furent immédiatement mis en demeure de les compléter. Peaux de bouc et tonnelets furent comptés et essayés. Le convoi fut organisé en pelotons de chameaux, placés chacun sous la surveillance d’un chamelier chef, rendu responsable des objets qui lui étaient confiés, et dont la liste fut dressée. Il fut de même dressé des listes des cavaliers et de leurs chameliers. Les peaux de bouc de la réserve furent marquées. Les chameaux de toute la colonne reçurent aussi une marque générale à laquelle chacun ajouta en outre un signe distinctif. C’est une précaution indispensable pour qui connaît les habitudes arabes.

Le 25, à la pointe du jour, eut lieu le départ. Le convoi se mit en marche le premier, La cavalerie ne partit qu’à huit heures, afin de donner le temps aux animaux de transport de franchir le col de Sitten, situé à trois lieues de Géryville. On alla coucher à Ain-Farch, belle source d’eau excellente qui coule au pied d’une montagne rocheuse, garnie de thuyas et térébinthes. De grands feux égayèrent le bivac. On fit une petite provision d’eau, sachant que le lendemain la source où l’on devait boire était un peu saumâtre. Les barils furent tous remplis, afin d’éviter leur dessication, et l’ordre fut donné de faire en route le lendemain provision de bois et d’alfa.

Le 26, notre bivac fut installé sous le ksar de Bou-Alem. C’est une pauvre oasis perchée sur un mamelon à l’entrée d’une large vallée dénudée.

Le ksar Bou-Alem. — Dessin de M. de Lajolais.

Le 27, nous couchions au pied de la montagne de Sel, après avoir traversé le petit ksar de Sidi-Tifour qui barre l’autre extrémité de la vallée de Bou-Alem. Les gens de Sidi-Tifour sont des marabouts qui exploitent la commisération des passants au moyen d’une koubba où est enterré le marabout Sidi-Tifour, quelque saint homme qui continue ainsi à faire le bien aux uns aux dépens des autres. Les oukils (curateurs) de la koubba nous attendaient, la bannière du saint déployée, avec forte provision de souhaits et de bénédictions à notre adresse, ce qui leur valut quelques poignées d’orge ou de blé, et quelque menue monnaie. Notre camp fut installé près de Ain-Teiba, source d’eau saumâtre qui est à l’entrée du Kheneg-el-Mel’h (défilé du Sel) et au pied de la montagne de Sel. La montagne donne son nom à la rivière qui contourne sa base et vient s’y imprégner fortement de sa substance. Le lit de cette rivière forme le défilé que nous avions à franchir le lendemain et à l’entrée duquel nous étions bivaqués, sur les eaux encore douces. De nos tentes nous apercevions toutes les hautes pentes de la montagne de Sel ; de larges fondrières blanches alternent sur ses flancs avec des plaques rocheuses d’un vert bleuâtre bien accentué, et d’autres d’un violet tendre. Ces mélanges de couleurs donnent à la montagne une physionomie toute bizarre à laquelle on a de la peine à s’habituer, d’autant plus qu’elle domine de tous côtés une chaîne de montagnes ordinaires dont la couleur n’a rien de saillant. Nos jeunes peintres admiraient ; quant à notre ingénieur et son collaborateur, nos savants, comme nous les nommions avec juste raison, leur admiration se reportait à l’époque reculée où le soulèvement salin avait eu lieu, et ils se promettaient une moisson de cailloux pour le lendemain.

Le marabout de Sidi-Tifour. — Dessin de M. de Lajolais.

Le 28, nous nous engagions dans le défilé du Sel, Kheneg-el-Mel’h, pour déboucher ensuite dans le grand Sahara, car la chaîne traversée par le défilé est la dernière série de montagnes séparant le petit désert ou Dahara du grand désert ou Sahara.

Kheneg-el-Mel’h est célèbre chez les Sahariens. Outre que c’est un des rares passages conduisant de la province d’Oran dans le grand désert, et qu’il est par suite très-fréquenté, c’est le point où une foule de tribus viennent faire leurs provisions de sel. À l’entrée, on voit encore les rampes par où M. le général Pélissier fit passer les canons qui battirent en brèche les murs de Laghouat. On voit les anciens bivacs d’Abd-el-Kader ; on vous montre des mamelons auxquels est resté le nom de bandits célèbres qui détroussaient autrefois les voyageurs : tel rocher se nomme le rocher du sang.