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tier, et le sultan était quelquefois impuissant à ramener l’ordre. Le palais de ce souverain nominal, placé sur une petite éminence, dans la grande enceinte aussi, n’était qu’une citadelle, une casbah fortifiée dont il sortait rarement. Cette casbah, adossée au grand rempart, avait une entrée d’honneur nommée encore Bab-El-Sultan, et une porte secrète. L’intérieur de la citadelle avait tout le confortable que pouvait raisonnablement exiger un sultan d’Ouargla, c’est-à-dire les logements de sa suite et de sa garde, les magasins, écuries, mosquée, etc., le tout formant, avec les appartements de Sa Majesté, un massif compacte couvrant environ un hectare et entouré de fossés au delà des remparts. Hélas ! il ne reste plus que des ruines de tout cet attirail de royauté : un petit minaret debout, quelques chambres servant d’asile à des malheureux, et des inscriptions sur quelques murs dont le plâtre n’est pas encore tombé. Du haut du minaret, l’aspect général d’Ouargla, vu ainsi à vol d’oiseau, est celui d’une ville bombardée et démantelée.

Après avoir pris une faible part à la diffa improvisée, consistant en lait, dattes et vin de dattes, nous visitâmes successivement les diverses parties de la ville, pour rentrer ensuite à notre camp. Les rues sont étroites, et dans bien des points il serait impossible à un cavalier de tourner bride. Les maisons sont presque toutes sans étages ; elles sont construites en briques de terre chauffées au soleil. Nombre de portes de maisons sont garnies d’ornements grossiers en plâtre et d’une inscription tirée du Coran. Les habitants, en sortant, emportent généralement la clef de leur chambre particulière où sont enfermées leurs provisions et leurs richesses. Ces clefs sont en bois et d’une forte dimension ; elles consistent en un gros carrelet garni de clous saillants destinés à soulever les chevilles qui retiennent le pêne également en bois de la grossière serrure.

La place du marché d’Ouargla fixa notre attention. Ce marché n’est autre que la boucherie ; aussi l’odeur du sang y prédomine-t-elle. Les viandes sont étalées en plein soleil et disparaissent sous une nuée de mouches. La chair de chameau s’y vend communément, quelquefois aussi la viande de chien. Toutefois il faut faire, au sujet de cette dernière, une réserve : à tort ou à raison, le bouillon fait avec de la viande de chien passe pour un remède infaillible contre la fièvre, cette maladie qui sévit à Ouargla depuis mai jusqu’en septembre, et ce n’est guère que comme médicament que cette chair se vend à cette époque.

Impasse, à Ouargla. — Dessin de M. de Lajolais.

Ouargla est loin d’être salubre ; les étrangers y sont sujets à des fièvres terribles ; les habitants eux-mêmes souffrent, tous les ans, de cette maladie, mais à un degré bien moindre. Nous croyons que la cause de cette insalubrité est due à la mauvaise qualité des eaux, qui ne sont pas assez saturées d’oxygène. Il est recommandé expressément de ne boire jamais que l’eau qui a passé une nuit à se refroidir, et de ne pas manger de dattes sans boire de lait. La recommandation relative à l’eau n’est point particulière à Ouargla, mais à toutes les oasis du Touat.

Les eaux artésiennes d’Ouargla sont tièdes ; il en est de même de celles du Touat. Ingurgitées au moment de leur sortie, leur digestion est difficile, même pour les animaux, et il y a cela de particulier, que ce sont les animaux les plus robustes, les plus forts, qui en souffrent le plus, probablement parce qu’ils boivent davantage.

Pour nous, la recommandation de laisser refroidir l’eau équivaut à celle-ci : la laisser aérer. Son influence malsaine ne s’exerce pas au même degré à toutes les époques, et cela se comprend. C’est surtout lorsque la transpiration est abondante et l’absorption plus considérable, que les maladies arrivent ; d’ailleurs, les chaleurs affaiblissent, les émanations du sol sont plus grandes, et toutes ces causes réunies font de l’été une saison redoutable pour les voyageurs dans les oasis.


IX

Il existe, dans tout le bas-fond de la vallée, deux nappes d’eau : l’une dormante, et à quelques pieds sous le sol ; l’autre jaillissante, et à une profondeur moyenne de quarante à quarante-cinq mètres.

La nappe stagnante est saumâtre, presque salie, et sert peu à l’arrosage, par la grande raison qu’il faut, pour cela, puiser, et qu’avant tout l’habitant des oasis est paresseux. Il n’y a que quelques malheureux mourant de faim qui utilisent cette nappe, se servant, pour tirer de l’eau des puits dormants, d’une bascule en bois analogue à celle de nos jardins maraîchers.

La nappe artésienne est celle qui est la plus généralement utilisée pour l’arrosage des quinze cent mille palmiers de l’oasis. Ses eaux sont amenées à la surface par près de quatre cents puits que les indigènes appellent des sources. Le forage de ces derniers est tout à fait primitif ; on y va bonnement comme pour un puits ordinaire très-large.

La seule difficulté consiste dans l’épuisement constant à opérer des eaux de la couche stagnante, afin de pouvoir s’enfoncer. On arrive ainsi à mettre à nu la dernière croûte rocheuse qui recouvre la nappe jaillissante ; quelques coups de pic percent cette croûte ; aussitôt un torrent s’échappe de l’ouverture, comble rapidement le puisard, et ses eaux, parvenues à la surface du sol, trouvent des rigoles qui vont les distribuer aux palmiers altérés.

Tel est le procédé de forage autrefois employé ; nous disons autrefois, car depuis longtemps les Ouargliens ne