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vaincre sur les lieux qu’il n’y a pas de fontaine des pauvres et que la caravane du Soudan a dû boire comme nous à la source d’une Feggara, au point où l’eau arrive à couler à ciel ouvert et que l’on nomme Aïn-El-Feggara.


XI

Une djemâa. — Dessin de M. de Lajolais.

Notre séjour à Ouargla dura une quinzaine de jours, qui s’écoulèrent rapidement au milieu d’occupations et d’études variées, malgré les inconvénients d’une installation de bivac sous un ciel embrasé et humide tout à la fois. Le bas-fond dans lequel est situé Ouargla est un de ces immenses lits de rivière comme on en rencontre tant dans le Sahara et qui sont dus probablement a des mouvements d’eaux diluviennes. La largeur de l’Oued-Ouargla est de trois à quatre lieues ; des dunes de sable recouvrent en grande partie le bas-fond. Çà et là se trouvent d’immenses lits de daya à fonds salins et constamment humides ; l’air est toujours imprégné de vapeurs. Des nuées de moustiques voltigent de tous côtés et martyrisent surtout les étrangers ; le drinn et le bois, communs dans l’oued, font totalement défaut jusqu’à une distance de quatre à cinq lieues des palmiers à cause de la consommation journalière des habitants de l’oasis et des caravanes. Nous fûmes obligés d’envoyer nos chameaux sous une garde particulière à six lieues au sud dans la rivière. Tous les quatre jours on amenait ces animaux pour les abreuver, et ils nous apportaient en venant les provisions de bois pour nos cuisines et les fourrages pour nos chevaux.

Le ksar El-Rouissat. — Dessin de M. de Lajolais.

Nous ne tardâmes pas à ressentir les effets du climat meurtrier dans lequel nous vivions. Des fièvres se déclarèrent parmi nos convoyeurs, surtout parmi ceux des tribus campées ordinairement dans les hauts plateaux. Les coups de vent nous amenant des tourbillons de sable furent aussi la cause de nombreuses maladies d’yeux. Il nous fut facile de comprendre combien il serait important qu’un médecin fût toujours attaché à ces petites colonnes dans le sud. Malgré l’imperfection de notre science médicale et l’exiguïté de nos moyens curatifs, les indigènes n’avaient confiance qu’en nous pour leurs maladies. Nous fîmes usage d’une soixantaine de grammes de sulfate de quinine et nous eûmes la consolation de ne perdre aucun homme de la colonne. Quant aux maladies d’yeux, notre procédé invariable, qui du reste fut infaillible, consista dans des cautérisations au moyen d’une dissolution faible de sulfate de cuivre. Ce dernier procédé que nous avons expérimenté dans tous nos voyages dans les sables, est celui qui nous a toujours donné les meilleurs résultats. L’emploi du sulfate de cuivre a été maintes fois comparé dans nos voyages avec celui du nitrate d’argent, du sulfate de zinc et autres caustiques, et nous a toujours semblé mériter la préférence ; nous ne pouvons que le recommander aux futurs voyageurs.

Porte d’entrée du ksar Rouissat. — Dessin de M. de Lajolais.

Nos relations avec les habitants d’Ouargla furent ce que leur accueil nous avait fait pressentir. Chaque jour à l’aurore et au coucher du soleil les musiques des trois quartiers de la ville vinrent à tour de rôle nous rendre les honneurs dus autrefois aux sultans. Une diffa nous fut offerte chaque jour et servit à nourrir les hommes compromis dans les derniers événements et arrêtés dès le lendemain de notre arrivée. Ces arrestations, loin de compromettre nos relations amicales avec les oasis, n’avaient fait que les activer. Les prisonniers étaient les chefs de la résistance opposée à Sid-Lalla ; ils étaient redoutés de leurs compatriotes à cause de leur rôle passé, de leur position de fortune et de leur caractère énergique. Leur arrestation fut difficile, mais porta un coup terrible à l’esprit de désordre. Le jour de notre brusque entrée dans Ouargla, pas un homme n’avait salué Sid-Bou-Beker et son oncle Sid-Lalla. Les faibles hommages des habitants avaient été pour le seul représentant de l’autorité française. Dès le lendemain, alors que le maghzen et nos spahis s’étaient emparés des têtes de partis, les marques de soumission et de repentir étaient incessantes, et la froideur calculée d’autrefois avait fait place à une obséquiosité fatigante. En quelques jours les impôts et les amendes furent versés. Les nouveaux chefs nommés furent investis et reconnus, en un mot la soumission devint complète. Quelques excursions dans les petites oasis faisant partie du district furent le couronnement de la mission politique de notre petite colonne. Chacune de ces oasis fut visitée, de bonnes mais fermes paroles furent adressées aux djemâa ou assemblées de ces villages, qui répondirent par les protestations les plus