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thia, qui a été, à plusieurs reprises, prise et pillée par les Pégouans et les Birmans. — Belle ! elle a certainement droit à cette épithète quand, vue du milieu du fleuve, elle étale aux regards ses palais et ses temples ; mais elle la perd rapidement dès qu’on pénètre dans les ruelles fangeuses, dans les mille canaux secondaires, étroits et nauséabonds qui découpent ses îlots chargés de huttes sales et misérables, blessant l’œil autant que l’odorat. Quant à la population de cette royale cité, — population dont il est presque impossible de savoir le chiffre exact, vu l’imperfection des recensements orientaux, mais qui grouille certainement, au nombre de trois ou quatre cents milliers de créatures, dans un espace où cinquante mille Français auraient peine à se mouvoir et à respirer, — bien loin de rappeler en quoi que ce soit le type angélique, tel du moins que nous nous le représentons d’après les traditions artistiques et religieuses, elle forme certainement un des groupes sociaux les plus énervés au physique et au moral qui existent sur ce globe sublunaire.

Jeune prince royal (voy. p. 228). — Dessin de E. Bocourt d’après une photographie.

Pendant de longues années j’ai séjourné en Russie ; j’y ai été témoin des effets affreux du despotisme et de l’esclavage. Eh bien ! ici j’en vois d’autres résultats non moins tristes et déplorables. À Siam, tout inférieur rampe en tremblant devant son supérieur, ce n’est qu’à genoux ou prosterné et avec tous les signes de la soumission et du respect qu’il reçoit ses ordres. La société tout entière est dans un état de prosternation permanente sur tous les degrés de l’échelle sociale : l’esclave devant son maître, petit ou grand, celui-ci devant ses chefs civils, militaires ou religieux, et tous ensemble devant le roi. Le Siamois, si haut placé qu’il soit, dès qu’il se trouve en présence du monarque, doit demeurer sur ses genoux et sur ses coudes aussi longtemps que son divin maître sera visible. Le respect au souverain ne se borne pas à sa personne, mais le palais qu’il habite en réclame une part ; toutes les fois qu’on passe en vue de ses portiques, il faut se découvrir ; les premiers fonctionnaires de l’État sont alors tenus de fermer leurs parasols, ou tout au moins de les incliner respectueusement du côté opposé à la demeure sacrée ; les innombrables rameurs des milliers de barques qui montent ou descendent le fleuve doivent s’agenouiller, tête nue, jusqu’à ce qu’ils aient dépassé le pavillon royal, le long duquel des archers, armés d’une sorte d’arc qui décoche fort loin des balles de terre fort dure, se tiennent en sentinelles, pour faire observer la consigne et châtier les délinquants. Ajoutons, comme dernier trait, que ce peuple, toujours à plat ventre, — dont un grand tiers au moins, la moitié peut-être, si l’on en excepte la colonie chinoise, est esclave de corps et de biens, — se donne à lui-même le nom de Thai, qui signifie hommes libres !!!

La population du royaume de Siam s’élève, suivant Mgr Pallegoix, à six millions, à quatre et demi seulement, suivant sir Bowring ; mais quel que soit son chiffre, elle n’est pas, à beaucoup près, homogène. Une colonie chinoise, très-respectable dans ce pays, en forme au moins un cinquième ; deux autres cinquièmes sont composés de Malais, de Cambodgiens, de Laotiens, de Pégouans, etc. Les Siamois proprement dits comptent donc à peine deux millions. Chaque population a ses usages, ses mœurs à elle ; et bien que toutes appartiennent à cette branche du tronc humain que les classificateurs appellent la race mongole, toutes ont un type propre. Les Siamois se reconnaissent sans peine à leurs allures molles et paresseuses, à leur physionomie servile. Ils ont presque tous le nez un peu camard, les pommettes des joues saillantes, l’œil terne et sans intelligence, les narines élargies, la bouche trop fendue, les lèvres ensanglantées par l’usage du bétel, et les dents noires comme de l’ébène. Ils ont tous aussi la tête complétement rasée, à l’exception du sommet, où ils laissent croître une espèce de toupet. Leurs cheveux sont noirs et rudes, ils figurent assez exactement la brosse ; les femmes portent