Page:Le Tour du monde - 08.djvu/236

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pour les quarante et une provinces du royaume, une série sans fin de gouverneurs et sous-gouverneurs, dont l’incapacité et les rapines dépassent tout ce qu’on peut imaginer en ce genre et semblent vouloir justifier le missionnaire Bruguieri, qui prétend que le mot siamois sarenival, que nous traduisons par celui de gouverner, signifie littéralement dévorer la peuple. Les fonctionnaires sont payés d’une-manière insuffisante, mal contrôlés et jamais surveillés ; la conséquence est facile à saisir, ils sont tous concussionnaires ; le roi le sait et ferme les yeux, soit à cause du grand nombre de coupables qu’il faudrait punir, ou bien parce que de telles affaires ne valent pas la peine d’absorber un seul de ses instants. Les provinces sont des vaches à lait pour les gouverneurs, qui leur font rendre tout ce qu’elles peuvent donner. Le menu peuple est divisé à Siam en esclaves, gens corvéables et gens payant le tribut. Que le tribut entre dans les coffres du roi, le reste lui importe peu. Les mandarins peuvent le prélever et le prélèvent plutôt trois fois qu’une. Les mandarins ont-ils besoin de faire bâtir une maison, la main-d’œuvre ne leur coûte rien : ils requièrent le peuple de la construire, le rotin est là pour assurer l’activité du travail. Les provinces et la capitale fourniront les matériaux, la maison du voisin même y pourvoira ; au besoin, on la démolira ; rien n’est plus facile. Un mandarin désire-t-il votre fille pour en faire l’ornement de son harem, ou votre fils pour en recruter la troupe de ses comédiens, il vous le fait savoir, et tout bon Siamois sait qu’entendre c’est obéir.

Au sujet des caprices qui naissent comme des miasmes des profondeurs insondables où croupissent, côte à côte, l’esclavage et l’arbitraire absolu, on m’a conté que Phra-Somdetch lui-même, ce roi si débonnaire, ayant appris, il y a quelques années, que le roi de Cambodge, son vassal, avait une fille d’une grande beauté, la lui fit demander, et sur le refus de ce dernier, il garda en otage ses fils venus par hasard à Bangkok. Or, le roi de Siam n’a pas moins de six cents femmes ; qu’avait-il besoin d’une six cent unième ? Il est vrai que, dans le nombre, une seule a droit au titre de reine. Pour ce sujet encore, nous ne pouvons mieux faire que de recourir à Mgr Pallegoix : il n’est pas de meilleure autorité.

Artistes dramatiques siamois. — Dessin de E. Bocourt d’après une photographie.

« … Ce n’est pas la coutume que le roi demande pour reine une princesse d’une nation étrangère : mais il choisit une princesse du royaume qui, le plus souvent, est sa proche parente, ou bien une princesse des États qui lui sont tributaires. Le palais de la reine est attenant à celui du roi ; il consiste en plusieurs grands bâtiments élégants et bien ornés. Ce palais a une gouvernante, dame âgée et qui a la confiance du roi. C’est elle qui est chargée de tout ce qui concerne la maison de la