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« Cet état de dépendance et de soumission ne dura toutefois que peu d’années. Au milieu de la confusion que l’on vit naître à la cour du Pégou, au sujet de l’avénement d’un nouveau roi, le prince Naret s’échappa avec sa famille, et, avec l’aide de plusieurs Pégouans influents, il s’aventura à reprendre le chemin de son pays. Le nouveau roi du Pégou envoya des troupes à sa poursuite ; mais le prince Naret s’attaquant à leur chef, lui lança un de ses traits, qui le fit tomber mort de son éléphant. Le prince arriva ensuite sain et sauf à Ajuthia.

« Une guerre s’alluma avec le Pégou, et le Siam redevint État indépendant. Six générations après, sous le roi Naraï, plusieurs marchands européens s’établirent dans le pays, et parmi eux se trouvait Constance Phaulcon, à qui ses services valurent le gouvernement de toutes les provinces du nord du Siam. Il conçut le projet d’établir un fort d’après le système européen pour la défense de la capitale ; le roi ayant accueilli très-favorablement ce plan, Constance fit choix d’un terrain sur un canal près de Bangkok, ville qui tire son origine de cette construction.

« Le même célèbre Européen amena le roi Naraï à restaurer l’ancienne ville de Nophaburi (Louvo), et y construisit un palais royal magnifique d’après les principes de l’architecture européenne ; il y établit ensuite une demeure spacieuse pour lui-même, puis une église catholique dont les inscriptions se reconnaissent même de nos jours. Ces bâtiments, tombés en désuétude, offrent encore le spectacle de ruines imposantes. Constance avait commencé ou projeté bien d’autres travaux, des aqueducs, des exploitations de mines, etc., lorsque la jalousie des nobles siamois vint l’arrêter dans sa carrière et causer sa perte. Accusé d’avoir trempé dans un complot, il fut assassiné sur un ordre du roi. (C’est du moins la tradition reçue ; les annales écrites de Siam cependant prétendent qu’il a été tué par un prince rebelle, qui comprenait bien que Constance en vie, il ne pouvait rien contre l’autorité du roi.) On montre encore quelques vestiges des travaux utiles du malheureux favori, tels qu’un canal, qui devait aller de Nophaburi au lieu sacré dit Phrâbat, et un aqueduc dans les montagnes.

« La mort de Naraï fut le signal de nouvelles révolutions de sérail ; un fils illégitime tua son successeur, donna d’abord la couronne à son tuteur, se réservant pendant quinze ans les fonctions de premier ministre, jusqu’à ce qu’enfin, à la mort de son tuteur, il prit lui-même le sceptre. Il s’appelait Nai-Dua. Deux de ses fils et deux de ses petits-fils régnèrent successivement à Ajuthia ; un de ces derniers ne régna que peu de temps et entra dans les ordres religieux après avoir cédé la couronne à son frère. Pendant ce règne, en 1759, une invasion formidable eut lieu ; le roi des Birmans, à la tête de trois corps de troupes nombreuses, pénétra dans le pays et concentra ses forces devant la capitale Ajuthia qu’il cerna. Le roi siamois (Chaufa-Ekadwat-Aurak-Moutri) n’opposa point une résistance réfléchie, et ses grands dignitaires ne lui prêtèrent nulle assistance. Il appela bien tous les habitants des petites villes voisines au sein de sa capitale et concerta des plans pour sa défense, mais la division et la jalousie rendirent tous les efforts infructueux. Le siége se prolongea deux ans ; les assiégés éparpillèrent leurs forces dans de petits combats et des sorties où, pour la plupart, les Birmans étaient victorieux. Leur général Maha-Noratha mourut en vain ; ses principaux officiers choisirent un autre chef, qui, profitant de la saison de sécheresse, franchit les fossés, ouvrit des brèches, enfonça les portes et se rendit maître de la ville. Les provisions des Siamois étaient épuisées, la confusion était à son comble, et l’ennemi victorieux mit le feu à la ville. À peine le roi, grièvement blessé, put-il s’échapper avec les flots de fuyards ; il mourut bientôt des suites de ses blessures et de ses fatigues, complétement délaissé ; ce n’est que plus tard qu’on a trouvé et enterré son corps. Son frère, le grand talapoin, et alors le personnage le plus considérable de son pays, fut emmené prisonnier par les Birmans. Ceux-ci s’apercevant que le Siam était trop vaste et trop éloigné pour y établir leur gouvernement, se résolurent à y porter partout le pillage et l’incendie ; ils massacrèrent impitoyablement les habitants pour leur extorquer le secret de leurs trésors supposés. Cette œuvre de destruction et de carnage dura deux mois ; les officiers birmans s’enrichirent des dépouilles des malheureux habitants, dont ils emmenèrent un grand nombre captifs ; non satisfaits encore de ces actes de cruauté et de brigandage, ils laissèrent un chef pégouan, nommé Phaya-Nackong, pour administrer le pays selon son bon plaisir, et avec la charge spéciale de réunir encore des esclaves et du butin, pour transporter le tout en temps opportun dans le pays des Birmans.

« Ainsi périt Ajuthia, en mars 1767, après quatre cent dix-sept ans d’existence, sous trente-trois rois et trois dynasties.

« Et tout le pays des Thai tomba dans l’anarchie, parcouru en tous sens par des bandes armées et déchiré par ses propres enfants autant que par ses ennemis. Les forêts, les déserts même les plus inaccessibles cessèrent d’être un asile pour les opprimés, et se changèrent en repaires de bandits qui s’égorgeaient les uns les autres pour s’arracher leur butin.

« Un homme aussi habile que brave entreprit de mettre un terme à ce triste état de choses. Pin-Tak, Chinois d’origine, né en 1734 dans le nord du Siam, avait su obtenir, sous le dernier roi, d’abord un poste secondaire, puis celui de gouverneur de sa ville natale, Tak ; il y prit, de son chef, le titre magnifique de Phaya : de là vient le nom qu’il a gardé dans l’histoire. Il avait été appelé à une espèce de vice-royauté des provinces occidentales peu de temps avant l’invasion des Birmans ; ayant dû céder devant le nombre, il se retira sur Ajuthia ; mais s’apercevant que le gouvernement n’était pas capable de résister à l’ennemi, il se réfugia avec sa troupe à Chantaburi (Chantaboun), ville située sur le bord est du golfe de Siam. Il en fit le centre de la résistance à l’étranger et l’asile de braves compagnons qui désertaient les drapeaux des bandes de brigands pour