Page:Le Tour du monde - 08.djvu/251

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à déjeuner, me témoignant du regret de ne pouvoir m’accompagner en personne, mais il eut la gracieuse prévenance de m’envoyer quatre hommes pour me servir de guides et d’aides. En retour de son amabilité et de l’empressement qu’il mit à me rendre service, je lui présentai un petit pistolet, qu’il accepta avec les marques de la plus grande joie.

Rives du Ménam. — Dessin de Sabatier d’après M. Mouhot.

Le mont Phrâbat et la plaine qu’il domine à huit lieues à la ronde forment le fief de ce dignitaire, dont l’existence est tout à fait celle des princes-abbés de l’Europe féodale. Il a des milliers de vassaux taillables et corvéables et sa merci, et en emploie autant qu’il veut au service de son monastère, où rien ne rappelle le vœu de pauvreté de son ordre ; il ne sort jamais qu’en magnifique palanquin, tel qu’en ont les plus grands princes, et la suite de pages qui l’entoure, ainsi que la troupe de jouvencelles alertes qui est chargée du soin de son réfectoire, ne m’ont pas paru affectés de la plus légère teinte d’ascétisme.

Je me rendis, de sa demeure, sur le versant occidental de la montagne où se trouve le fameux temple qui renferme l’empreinte du pied de Samonakodom, le Bouddha de l’Indo-Chine. Je fus saisi d’étonnement et d’admiration en arrivant à cette partie de la montagne, et je me sens incapable d’exprimer convenablement la grandeur du spectacle qui s’offrit à ma vue. Quel bouleversement de la nature ! Quelle force a soulevé ces roches immenses, transporté et entassé les uns sur les autres tous ces blocs erratiques ? À la vue de ce pêle-mêle, de ce chaos, j’ai compris comment l’imagination de ce pauvre peuple, resté enfant en dépit des siècles qui ont passé sur lui, a cru retrouver là des traces du passage de ses fausses divinités. On dirait qu’un récent déluge vient de se retirer. La vue seule de ce tableau me récompensa de mes fatigues. Jusqu’au sommet de la montagne, dans les vallées dans les crevasses des rochers, dans les grottes, partout, je rencontrai des empreintes d’animaux, parmi lesquelles celles d’éléphant et de tigre sont les mieux marquées et les plus communes ; mais j’ai pu me convaincre que plusieurs de ces empreintes provenaient d’animaux antédiluviens et inconnus. Tous ces êtres, selon les Siamois, formaient le cortége de Bouddha à son passage sur la montagne. Quant au temple lui-même, il n’a rien d’admirable ; car il est comme presque toutes les pagodes du Siam : inachevé d’un côté, et dégradé de l’autre. Il est construit en briques, quoique les pierres et le marbre abondent à Phrâbat, et l’on y arrive par une suite de larges degrés. Les murs, couverts de petits morceaux de verre de couleur, forment des arabesques d’une grande variété, et resplendissent au soleil avec des reflets chatoyants qui ne sont pas sans charme. Les panneaux et les corniches sont dorés ; mais ce qui surtout attire l’attention par la finesse et la beauté du travail, ce