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soleil semble plongé et du fond desquelles il renvoie à la surface des feux éblouissants. Mais on le retrouve en relevant les yeux. Il monte rapidement à l’horizon et tombe d’aplomb sur le désert qui sert de cadre aux eaux du lac. Il enflamme ces vastes plaines, il dessèche les terres, il les torréfie, il les broie. Nul ne peut se faire une idée de sa puissance s’il ne l’a pas vue s’exercer dans le désert où rien ne combat son action dévorante. Il nuance l’azur céleste de toutes les couleurs du prisme, et dégrade ses teintes avec des transitions inimitables, depuis le rose pâle jusqu’à l’éclat insoutenable du fer chauffé à blanc.

Accoudé sur le balcon nous laissons volontiers notre imagination courir au delà du lac de Timsah en suivant jusqu’à Suez le tracé du canal des deux mers. Le sol s’élève graduellement à partir du rivage méridional du lac et forme à peu de distance un plateau qu’on appelle Sérapeum. Il est moins élevé et d’une moindre étendue que le seuil d’El-Guisr. Aussi les contingents arabes ouvriront-ils facilement un passage au canal à travers ce plateau. La tranchée d’El-Guisr était bien plus vaste. Quelques mois cependant ont suffi pour accomplir ce gigantesque travail.

Mais avant d’arriver au sommet du Sérapeum, l’œil rencontre un groupe de tentes et de maisons : c’est le poste ou campement de Toussoum. C’est là qu’ont pris position les premiers ouvriers de la grande œuvre. À l’origine elle avait pour première perspective une carrière de dangers et de sacrifices. Le désert n’offrait aucune ressource ; l’hostilité anglaise était menaçante. Elle avait des adhérents dans le pays. Les ouvriers établis à Toussoum étaient donc obligés d’avoir le fusil posé à côté de la truelle. Ils prirent leur parti en vrais Français. Ils avaient cette foi et ce dévouement que le péril stimule dans la race gauloise. Ils s’installèrent fortement dans ce premier campement. Ils le mirent sous la protection d’un nom cher au vice-roi, le nom de son fils Toussoum. Et ils surmontèrent allégrement les difficultés et les privations, ils opposèrent leurs poitrines aux menaces ; ils gagnèrent enfin l’heure où la Compagnie se vit en mesure de développer ses travaux et de donner à ses agents le bien-être et la sécurité dont ils jouissent aujourd’hui. Toussoum, dont l’importance a diminué, reste avec toute la solidité et l’ampleur de son installation première. Il a son hôpital, ses magasins, sa boulangerie, ses maisons correctement alignées, et son observatoire, édifice caractéristique, élevé pour déjouer par une vigilance exercée dans un horizon étendu les surprises et les attaques alors probables, aujourd’hui impossibles.

Autre trait de mœurs locales. Il existe à Toussoum un marabout, fort vénéré des Arabes et connu sous le nom de Cheik-Ennedeck. Les tribus nomades y viennent en pèlerinage pour honorer le saint dont les restes sont ensevelis sous les voûtes de cet édifice. La Compagnie a prouvé son respect pour cette innocente croyance, en réparant le monument quelque peu dégradé, et en donnant une couche de peinture fraîche et nouvelle aux bandes rouges et blanches qui le décorent.

Toussoum. — Tombeau du cheik Ennedeck.

Avançons plus loin. Quelques pas à peine nous séparent de croix plantées aux environs de Toussoum. Cet emblème touchant des épreuves et de l’espoir du christianisme signale le dernier asile et révèle les fatigues des premiers pionniers.

Franchissons par la pensée le Sérapeum sans nous arrêter à déchiffrer les caractères gravés sur les pierres éparses. Un autre dira quelle race de conquérants a laissé ces empreintes. Au sommet du Sérapeum un spectacle plus intéressant attire nos regards.

Quelles sont ces lignes estompées dans la brume qui découpent l’horizon au delà du Sérapeum ? C’est la chaîne de l’Attaka. Elle élève ses cimes dentelées comme une barrière entre la mer Rouge et l’Égypte. La montagne de Gebel-Géneffé est un des contre-forts de cette masse rocheuse. Lorsque les premiers ouvriers de la Compagnie parcouraient le désert peu de temps après y avoir planté leurs tentes, ils remarquèrent le massif de calcaire que présente le Gebel-Géneffé du côté des lacs Amers, sur un front de plusieurs centaines de mètres. Leurs rapports firent naître la pensée d’utiliser ce calcaire pour les jetées du canal. Un tel projet n’avait rien que de naturel alors que l’examen des lieux faisait reconnaître les traces d’exploitations du même genre qui semblent remonter à la plus haute antiquité. On fit donc tous les préparatifs destinés pour tirer de la montagne les pierres nécessaires à la construction du canal. Mais l’ouverture de la carrière ne pouvait être utilement opérée que le jour où le transport des blocs à destination serait devenu facile et peu coûteux. Ce jour va bientôt arriver puisque le canal d’eau douce