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sabres et des fusils dans des étuis. Nous arrivâmes ainsi à la porte de l’enceinte du palais du premier roi.

Sa Majesté mit pied à terre, et, tout en conservant le même ordre de marche, nous suivîmes une charmante avenue d’un demi-mille à peu près de largeur, plantée de jeunes arbres et entourée d’une muraille de planches.

De l’avenue, le terrain va en déclinant, couvert de pelouses et de jardins, et bordé d’une ligne d’une centaine de petits cottages aux murs d’argile et aux toits de chaume.

« Toutes ces maisons sont habitées par les femmes de mon père : il n’y a pas un seul homme, » me dit le jeune roi.

Plus loin s’étend un large bassin entouré de verdure et répandant la fraîcheur et la gaieté dans cet enclos. Sur un des côtés de ce petit lac, encadrés dans le feuillage de ses bords et réfléchis dans sa nappe d’eau, s’étendent les bâtiments royaux, les uns blanchis à la chaux, les autres construits en simples bambous.

Nous traversons quelques chambres ou ateliers où de pauvres femmes annamites filent et tissent de la soie, puis nous passons devant le trésor et les magasins du roi, et nous arrivons dans une vaste salle construite à l’entresol et qui constitue ce que l’on nomme spécialement le palais. L’intérieur ne répond certes pas à l’extérieur. Cette salle est encombrée, comme un bazar, de bocaux, de vases de fleurs artificielles recouverts de globes, de coussins de toutes les couleurs et de toutes les dimensions ; sur les tables, sur les rayons, sur le plancher, on a entassé des boîtes, des cadres chinois, des pantoufles, et une foule d’objets et d’instruments d’Europe, de vieux divans, des glaces, des lavabos, etc., etc. Après m’avoir fait de nouveau parcourir les jardins, le jeune roi, qui devait passer la journée chez son père, me fit reconduire par un de ses chambellans.

Peu après le coucher du soleil, le peuple accourut en foule pour assister au spectacle, qui devait commencer à sept heures, au retour du roi. La multitude était si compacte, qu’il n’y avait pas dans la cour un seul pouce de terrain inoccupé, les murs mêmes étaient couverts de monde. Sans doute qu’à ces réjouissances il est permis de déroger à l’usage général et que le peuple n’est pas tenu de se prosterner, car tout le monde, à l’intérieur comme à l’extérieur du palais, était assis à l’orientale. Ce spectacle était tout simplement une pasquinade fantastique assez bien représentée et accompagnée d’une musique plus bruyante qu’harmonieuse, mais qui parut satisfaire complétement la curiosité publique. En somme, la mise en scène et les auteurs étaient fort inférieurs à ce que j’avais vu en ce genre à Bangkok.


XIII

Départ d’Udong. — Train d’éléphants. — Pinhalú. — Belle conduite des missionnaires. — Le grand lac du Cambodge. — Le fleuve Mékong.

Le 2 juillet, après avoir mangé le riz ordinaire du matin, nous étions prêts à nous mettre en route ; nous n’attendions, pour cela, que les éléphants et les chariots que le roi m’avait promis. Les uns et les autres ne tardent pas à arriver, et nous traversons la ville au milieu d’une foule immense accourue de tous les points de la ville pour nous voir. Montés sur nos éléphants, suivis de notre bagage et de plusieurs pages du roi qui nous accompagnent jusque sur la route de Pinhalú, nous voyons toute la population prosternée sur notre passage, sans doute parce qu’elle m’a vu la veille avec Sa Majesté.

Nous cheminons ainsi majestueusement au train d’une lieue à l’heure, sur une très belle chaussée élevée en certains endroits de plus de dix pieds au-dessus de la plaine boisée, mais marécageuse, qui s’étend jusqu’au grand canal de jonction du Touli-Sap au Mékong.

Parfois nous traversons de beaux ponts en bois et en pierre, qui donnent certainement une meilleur et plus haute idée de l’administration du Cambodge que de celle de Siam, car à Bangkok même les ruisseaux et les canaux sont franchis sur des planches étroites et minces, ou simplement sur des troncs d’arbres jetés en travers par les soins des habitants et non par les autorités elles-mêmes.

À deux kilomètres à peu près d’Udong s’élève une espèce de rempart en terre, de la forme d’un fer à cheval, qui entoure une partie de la ville, et que l’on a eu pour but d’opposer, au besoin, à l’invasion des Annamites, qu’on s’attend chaque année à voir paraître à l’époque des grandes eaux.

Nous rencontrons sur la route une quantité de piétons allant à la ville ou en revenant, sans doute pour l’approvisionnement du marché. Elle est bordée de misérables cabanes en bambous, sur pilotis, semblables à des poulaillers, et qui servent de demeures aux malheureux Thiâmes que le roi fit transporter là, il y a un an, des plaines situées à l’est du Mékong, pour les punir d’une tentative de révolte.

Nous arrivons de bonne heure le même jour à Pinhalú, village situé sur la rive droite du fleuve et assez considérable. Plusieurs de ses habitants descendent de Portugais et d’Annamites réfugiés.

La ville de Pinhalú est la résidence d’un évêque français, Mgr Miche, vicaire apostolique de la mission du Cambodge et du Laos.

Mgr Miche était absent pour le moment, mais je trouvai chez lui trois bons et aimables missionnaires qui me prièrent d’attendre son retour et me reçurent avec cette cordialité et cet empressement affectueux, qu’il est si doux de rencontrer à l’étranger, et surtout de la part de compatriotes. M. Fontaine, le plus âgé des trois, quoique jeune encore, compte près de vingt années de mission. Il faisait autrefois partie de la mission de Cochinchine. Je l’avais vu à Bangkok, où il avait séjourné temporairement avant d’aller au Cambodge ; il était faible et souffrant alors ; je le retrouvai avec plaisir plus vigoureux et plein de gaieté. J’éprouvais beaucoup de sympathie pour ce digne homme ; il ne peut y avoir assez de missionnaires comme lui.

Un de ses collègues, M. Arnoux, était non-seulement