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laisse en place, et au bout de quelques jours, lorsque ce bois est à peu près sec, il y met le feu : le champ est ouvert et fumé tout à la fois. Quant aux racines, on s’en occupe peu, et de labourage il n’en est pas question ; sur ce terrain vierge il ne s’agit que d’ensemencer. Notre homme prend deux longs bambous qu’il couche en travers de son champ en guise de cordeau ; puis, un bâton de chaque main, il suit cette ligne en frappant de gauche et de droite, pour faire de distance en distance des trous d’un pouce à un pouce et demi de profondeur. La tâche de l’homme est alors achevée, et c’est à la femme à faire le reste. À demi courbée, elle suit l’espèce de sillon tracé par son mari, prend dans un panier qu’elle porte au côté gauche une poignée de riz, en glisse une soixantaine au moins dans sa main qui les déverse dans les trous avec rapidité et en même temps avec une telle adresse que rarement il en tombe à côté.

Labour et semailles chez les sauvages stiêngs. — Dessin de E. Bocourt d’après M. Mouhot.

En quelques heures la besogne se trouve achevée, car il n’est pas plus besoin de herse que de charrue. La bonne mère nature enverra avant peu quelques fortes ondées qui, en lavant le terrain, couvriront les graines. Alors, le propriétaire s’établit dans sa case, du haut de laquelle, tout en fumant sa cigarette faite de tabac roulé dans une feuille quelconque, il décoche quelques flèches aux sangliers, aux singes ou aux chevrotins, et s’amuse à tirer de temps en temps une corde de rotin qui met en branle deux bambous placés au milieu du champ ou au bout d’une perche au sommet de sa case, de manière à s’entre-choquer au moindre mouvement, et dont le bruit épouvante les colombes et les perruches, qui, sans cela, mangeraient toute la semence. La moisson se fait à la fin d’octobre.

Généralement deux mois avant les récoltes la misère et la disette se font sentir. Tant qu’il y a, on fait bombance, on trafique, on partage sans jamais songer au lendemain, et quand arrive la famine, on est réduit à manger des serpents, des crapauds, des chauves-souris (ces dernières se prennent en quantité dans le creux des vieux bambous) ; puis on ronge quelques graines de maïs, des pousses de bambous, des tubercules de la forêt et d’autres productions spontanées de la terre.

Tous les animaux domestiques des pays voisins, tels que bœufs, porcs, poules, canards, etc., se retrouvent chez les Stiêngs, mais en petit nombre. Les éléphants y sont rares, tandis que plus au nord, dans la tribu des Benams, il n’y a pas de village, dit-on, qui n’en possède un certain nombre.

Les fêtes commencent après la moisson et lorsque le riz a été entassé au milieu du champ en meules oblongues d’où tous les matins on extrait ce qu’il faut pour la consommation du jour.

Un village en invite un autre, et, selon sa richesse, tue souvent jusqu’à dix bœufs. Tout doit disparaître avant la séparation ; jour et nuit on boit et on mange au son du tamtam chinois, du tambourin et du chant. L’excès après de longues privations amène des maladies : les plus communes parmi eux sont la gale et certaines maladies cutanées et honteuses ; plusieurs proviennent du manque de sel, quand ils ne peuvent s’en procurer.

Pour tous les maux internes tels que maux d’estomac, d’entrailles, etc., le remède général est, comme au Cambodge, un fer rougi au feu que l’on applique sur le creux de l’estomac. Il est peu d’hommes qui ne portent ainsi un grand nombre de cicatrices sur cette partie du corps.

Ces sauvages connaissent divers remèdes tirés des simples ; ils ne recouvrent jamais une plaie ou une blessure ; ils s’exposent au soleil avec des ulcères profonds qu’ils guérissent cependant généralement. Ils paraissent exempts de la lèpre, si commune parmi les Chinois ; du