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Le souverain actuel s’étant rendu à Ongkor, lorsqu’il n’était encore que prince héréditaire, voulut voir les Somrais et les fit venir de la montagne : « Voilà mes vrais sujets et les gens d’où ma famille est sortie, » dit-il en les voyant. Il paraît qu’effectivement la dynastie actuelle du Cambodge viendrait de là, mais qu’elle n’est plus celle des anciens rois.

Selon les Cambodgiens modernes, voilà de quelle manière le bouddhisme leur serait venu :

Samonakodom, sorti de Ceylan, alla au Tibet, où on l’accueillit fort bien ; de là il se rendit chez les sauvages ; mais ceux-ci ne voulant pas le recevoir, il passa au Cambodge, où on lui fit un très-bon accueil.

Une chose digne de remarque, c’est que le nom de Rome est connu de presque tous les Cambodgiens ; ils le prononcent Rouma, et le placent à l’extrémité occidentale de la terre.

Il existe au sein de la tribu des Giraïes deux grands chefs nominaux ou titulaires, appelés par les Annamites Hoa-Sa et Thouï-Sa, le roi du feu et le roi de l’eau.

Les souverains du Cambodge, comme ceux de Cochinchine, envoient tous les quatre ou cinq ans au premier un léger tribut, hommage de respect sans doute plutôt que dédommagement pour l’ancienne puissance dont leurs ancêtres l’auraient dépouillé.

Le roi du feu, qui paraît être le plus important de ces deux chefs, est appelé Eni ou grand-père par les sauvages ; le village qu’il habite porte le même nom.

Quand ce grand-père meurt, on en nomme un autre, soit un de ses enfants, soit même quelque autre personnage étranger à la famille, car la dignité n’est pas nécessairement héréditaire ; l’élu ne s’appelle plus que Eni, et tout le monde le révère.

Ce personnage doit sa puissance extraordinaire, dit M. Fontaine, à une relique nommée Beurdao, vieux sabre rouillé qui est enveloppé d’un rouleau de chiffons ; il n’a pas d’autre fourreau. Ce sabre, au dire des sauvages, provient de siècles fort éloignés et renferme un Giang (esprit, génie) puissant et renommé, qui du reste doit avoir de très-bonnes facultés digestives pour consommer tous les porcs, toutes les poules et autres offrandes qu’on lui apporte de fort loin.

Ce sabre est gardé dans une maison particulière, où personne ne peut aller le voir sans mourir subitement, à l’exception d’Eni, qui seul a le privilége de le regarder et de le toucher sans qu’aucun mal lui arrive. Chaque habitant du village, à tour de rôle, est tenu de faire sentinelle près de cette maison.

Tour de l’Horloge, à Bangkok. — Dessin de Catenacci d’après une photographie.


Eni ne fait la guerre à personne, et personne ne la lui fait, car toutes les tribus du bassin du grand fleuve, depuis les forêts de Stiengs jusqu’aux frontières de la Chine, le respectent et le vénèrent ; aussi ses gens ne portent aucune arme quand ils vont en tournée pour recueillir les offrandes dans tous les villages à la ronde. Donne qui veut : piochette, cire, serpe, langouti, les quêteurs acceptent tout.

C’est à cette ombre de souverain, spirituel plus que temporel, qu’aurait échu la succession des anciens rois de Kmer, des fondateurs d’ongkor !  !  !…

En traçant à la hâte ces quelques lignes sur le Cambodge au retour d’une longue chasse, à la lueur blafarde d’une torche, entre la peau d’un singe fraîchement écorché et une boîte d’insectes à classer et à emballer, assis sur ma natte ou ma peau de tigre, dévoré des moustiques et souvent des sangsues, mon seul but, bien loin de vouloir imposer telle ou telle opinion, a été simplement de dévoiler l’existence des monuments les plus imposants, les plus grandioses et du goût le plus irréprochable que nous offre peut-être le monde ancien, d’en déblayer un peu les décombres, afin de montrer en bloc ce qu’ils sont, et de réunir tous les lambeaux de traditions que nous avons pu rassembler sur cette contrée et les petits pays voisins ; espérant que ces données serviront de jalons à de nouveaux explorateurs, qui, doués de plus de talent et mieux secondés de leur gouvernement et des autorités siamoises, récolteront abondamment là où il ne nous a été donné que de défricher.

D’ailleurs, et avant tout, notre principal objet c’est l’histoire naturelle ; c’est de son étude que nous nous occupons spécialement. Ces essais archéologiques, ébauchés devant la flamme du bivac, sont ce que nous appellerions volontiers nos délassements, le repos du corps après les fatigues de l’esprit ; tout au plus avons-nous l’ambition de trouver grâce pour eux, si toutefois ces