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que les singes habillés qu’on voit si souvent danser sur les orgues des Savoyards. Ils étaient vêtus d’habits d’un grossier drap rouge, imitant la coupe de l’armée anglaise, laissant voir une partie du corps nu, toujours trop larges ou trop étroits, trop longs ou trop courts, coiffés de shakos blancs et des pantalons omnicolore. Quant à des souliers, c’est un luxe dont peu usaient ; jamais suite de prince ne mérita mieux la qualification de va-nu-pieds.

Quelques chefs, d’une tenue en rapport avec celle de leurs hommes, étaient à cheval conduisant cette bande de guerriers, tandis que le roi avançait lentement dans une petite calèche attelée d’un poney, soulevée et portée en même temps par d’autres esclaves.

J’ai visité plusieurs des monts détachés de la grande chaîne Khao-Deng, qui n’est qu’à quelques lieues, et ces courses ont été effectuées sous des torrents de pluie. Depuis mon arrivée ici, il pleut presque continuellement ; mais j’ai à lutter constamment contre un plus cruel et plus odieux ennemi, qui ne m’a jamais tant fait souffrir qu’ici ; rien ne peut contre lui : coups d’éventail, coups de poing, coups de fusil ; il se fait tuer avec un courage digne d’un être plus noble. Je veux parler des moustiques. Des milliers de ces cruelles bêtes sont occupés jour et nuit à me sucer le sang ; mon corps, ma figure et mes mains ne sont que plaies et qu’ampoules.

Portrait du Khrôme Luang, frère ses deux rois de Siam. — Dessin de E. Bocourt d’après une photographie.

Je préfère de beaucoup avoir affaire aux animaux sauvages des bois ; par moments c’est à hurler de douleur et d’exaspération ; on ne peut s’imaginer quel fléau épouvantable sont ces affreux démons auxquels le Dante a oublié de donner un rôle dans son Enfer. C’est avec peine que je puis me baigner, car avant d’avoir puisé un seau d’eau le corps en est couvert. Le naturaliste philosophe, qui nous montre ces petits vampires comme engendrés par la nature pour servir d’exemple de prévoyance et d’amour paternel à l’humanité, n’était sans doute pas couvert de piqûres et de sang au point d’en être presque aveuglé comme je le suis, lorsqu’il écrivait ces charmantes remarques ; et quant à moi, je ne cesse d’envoyer au diable l’amour maternel de ces êtres intéressants. Dans les environs de Petchabury, je trouvai, à une distance d’une dizaine de milles à peu près, plusieurs villages habités par des Laotiens qui, établis là depuis deux ou trois générations, sont venus du nord-est du grand lac Sap et des bords du Mékong.

Kun Mote, noble et savant siamois. — Dessin de H. Rousseau d’après une photographie.

Leur costume consiste en une longue chemise et pantalons noirs de la même coupe que celle des Cochinchinois. Leur coiffure, du moins celle des femmes, est également la même que celle des femmes de ce pays ; les hommes portent le toupet siamois. Leurs chants et leur manière de boire, à l’aide de tuyaux de bambous, dans des grandes jarres, une liqueur fermentée faite de riz et de différentes plantes, me rappelaient ce que j’avais vu chez les sauvages stiêngs ; je retrouvai également chez eux les hottes et quelques petits instruments pareils à ceux de ces sauvages.

Les jeunes filles ont la peau blanche, comparativement aux Siamois, et des traits très-agréables, mais qui de bonne heure grossissent et perdent beaucoup de leur charme. Isolés dans leurs villages, ces Laotiens ont conservé leur langue et leurs usages, et ils ne se mêlent jamais aux Siamois.


XXIII

Retour à Bangkok. — Préparatifs pour une nouvelle expédition au nord-est du Laos. — Départ.

Après un séjour de quatre mois dans les montagnes de la province de Petchabury, dont quelques unes, connues sous les noms de Nakhou Khao, Panom Kuot, Khao Iamoune et Khao Samroun, sont élevées de dix-sept cents et dix-neuf cents pieds au-dessus du niveau de la mer, je revins à Bangkok, d’abord pour faire les préparatifs nécessaires à la nouvelle expédition que je méditais depuis longtemps et devant me conduire de Bangkok dans le bassin du Mékong, vers la frontière de Chine ; puis, je dois l’avouer, pour me guérir de la gale que j’avais attrapée à Petchabury ; comment ? je n’en sais vraiment rien, car tous les jours, et malgré les affreux moustiques, je renouvelais mes ablutions deux et souvent trois fois ; quelques jours de frictions de pommade