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figurés exactement, étaient tellement rapprochés, et offraient à l’œil un enchevêtrement si confus, que la carte ressemblait assez à une toile d’araignée. C’est que la culture du riz, qui ne peut avoir lieu que dans des champs submergés une bonne partie de l’année, exige une abondance d’eau extraordinaire : on élève autour de chaque rizière un rebord de terre assez élevé pour empêcher cette eau de s’échapper, et au moyen d’une petite vanne, on peut à volonté en exhausser ou en abaisser le niveau.

Tout le monde nous a assuré dans le pays que les rizières étaient d’un rapport très-productif ; malheureusement les exhalaisons marécageuses sont des plus malsaines, et font tous les ans de nombreuses victimes, ce qui est facile à comprendre dans un pays ou la chaleur est excessive.

Il est peu de laboureurs qui ne soient sujets aux fièvres intermittentes, et nous ne pouvions, sans être pris de pitié, les voir travailler du matin au soir les pieds dans l’eau et la tête exposée à un soleil brûlant. Il est étrange qu’on ne leur enseigne à prendre aucune des précautions qui sont en usage ailleurs.

C’est autour de la petite ville d’Albéric qu’on voit le plus d’arrozales ; un proverbe bien connu dans le pays fait allusion aux profits en même temps qu’à l’insalubrité de la culture du riz :

« Si vols vivre poc, y fer te ric,
    Ves ten a Alberic. »

C’est-à-dire : si tu veux vivre peu, et te faire riche, va-t’en à Albéric. Je cite ce proverbe en valencien, afin de donner une idée de l’analogie qui existe entre notre langue et ce dialecte, qui dérive de l’ancienne langue limousine. Quant aux noms de localités, la plupart, dans le royaume de Valence, rappellent bien plus une origine arabe que valenciennes ou espagnole : il suffit, pour en donner une idée, de citer les noms de Beni-Muslem, Beni-Mamet, Beni-Parrell, Beni-Farraig, Alfafar, Algemeci, et tant d’autres qui n’ont pas varié depuis plus de huit siècles.

Nous venions de traverser le grand canal appelé Acequia del rey, dont les eaux vont se perdre dans l’Albuféra ; bientôt après, le magnifique lac nous apparaît dans toute son étendue, encadré à l’horizon parla Sierra escarpée de la Falconera et par la montagne de Monduber, qui passe pour une des plus élevées du royaume de Valence.

Musiciens ambulants.

Rien ne saurait peindre l’animation extraordinaire qui régnait sur les bords du lac : il faut avoir vu cette fête populaire pour se faire une idée de l’entrain et de la gaieté du caractère des Valenciens. Malgré l’heure peu avancée, la foule était déjà compacte : de nombreux groupes s’étaient formés çà et là ; les uns cherchaient un peu d’ombre sous les tartanas ; d’autres s’étaient bravement installés en plein soleil, et faisaient honneur, mais avec la frugalité tradi tonnelle des Espagnols, à un déjeuner champêtre arrosé de vin noir, qui sortait des outres de cuir sous la forme d’un mince filet. Les petits marchands ambulants débitaient leur orchata de chufas, ou leur agua de cebada, eau d’orge refroidie dans la neige, et d’autres rafraîchissements, accessoires inévitables de toute fête espagnole. Pendant ce temps-là, les aveugles lais aient bourdonner les guitares et grincer les citaras, soit pour accompagner quelque complainte larmoyante, soit pour