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nues, il devient intolérable et finit par donner des accès d’humeur noire à l’être doué du caractère le plus joyeux. Il fallait néanmoins approvisionner la marmite ou plutôt la broche, car, une bouilloire composant toute ma batterie de cuisine, je faisais rôtir ma viande au moyen d’une baguette.

19 août. — Chaleur dévorante ; le vent le plus chaud qui ait soufflé depuis que j’habite la colonie ; je suis resté dans l’eau une partie de la journée ; il est rare que nous ayons de ces vents torrides.

20 août. — Juste aussi froid qu’il faisait chaud hier ; une pluie torrentielle ; heureusement qu’on m’a prêté Martin Chuzzlewit[1] pour quelques jours. Sorti le soir, j’ai tué un koran[2], un steinbuck[3] et un dikkop[4].

Inyala dévoré par les hyènes (voy. p. 383).

19 septembre. — Passé quelque temps avec Riley, Forbes et les autres. Nous avons eu de la pluie, et fait en somme une assez triste chasse, malgré cinq buffles qui nous ont donné quelque plaisir. J’ai vu des lions à diverses reprises ; mais j’étais seul et n’ai pas engagé le combat. J’aurais pu occire pas mal de rhinocéros noirs, mais ils ne valent pas un coup de fusil. Un soir, je suis tombé dans l’ombre sur trois de ces animaux ; ils me chargèrent et me poursuivirent longtemps avec toutes les démonstrations d’une mauvaise humeur évidente, labourant le sol, renâclant, etc. La nuit était devenue plus épaisse ; je fis la sottise de prendre deux hippopotames pour deux de ces nasicornes, et perdis une occasion superbe ; c’était en plaine ; vingt-cinq yards au plus entre moi et les deux bêtes, et le vent en ma faveur. Si j’avais su à qui j’avais affaire, je pouvais approcher de mes deux hippopotames jusqu’à les toucher et les tuer sur le coup ; mais n’ayant pas de papier blanc au bout de mon fusil, il m’était impossible de tirer avec certitude, même à cette faible distance. La pluie, un vrai déluge, me fit gagner un kraal, ou je soupai à merveille : canard sauvage, bière, amas et café ; je m’étais fabriqué du pain que j’avais fait cuire entre les deux tessons d’une marmite indigène ; ma tente, où ne pénétra pas une goutte d’eau, fut plantée sur un sable qui absorbait la pluie à mesure, et je passai la meilleure nuit du monde, alors que, selon toute apparence, je devais en avoir une détestable.

25 septembre. — J’ai voulu atteler un jeune bœuf ; la lutte a duré plusieurs heures ; jamais je n’ai vu d’animal plus furieux ; il rugissait de la façon la plus sauvage, chargeait tout ce qu’il voyait, et donnait d’affreux coups de tête à son compagnon de joug. Enfin, maîtrisé par une courroie de buffle qui défia tous ses efforts, il se coucha, mais hélas ! pour ne plus se relever. J’avais espéré le dompter en le faisant traîner par les autres pendant l’espace de quelques yards ; mais quand nous nous arrêtâmes, il avait le cou rompu.

Baldwin.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Roman de Charles Dickens.
  2. Oiseau de la famille des outardes ; on en connaît trois espèces de l’Afrique Australe : l’otis melanogaster, qui vit dans les bois, et que nous verrons plus tard ; l’otis affra, et le koran huppé (otis rufricresta), qui tous deux habitent la plaine.
  3. Tragulus rupestris.
  4. Littéralement grosse-tête, œdicmène du Cap, dont la chair est très-estimée des colons.
    H. L.