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Le moment fut critique ; je ne me rappelle pas avoir jamais ressenti d’inquiétude aussi vive. Il est certain que si le feu nous avait gagnés nous étions tous perdus.

Je mis le feu aux grandes herbes.

18 août. — Nous avons traversé aujourd’hui une rivière où il se trouvait deux pieds et demi d’eau vaseuse, — plus de fange que de liquide, — mais elle était remplie de barbeaux ; en cinq minutes mes gens ont pris quinze de ces poissons, pesant en moyenne deux ou trois livres ; il y en avait de quatre à cinq. Petits et gros étaient maigres et avaient la chair molle ; néanmoins nous les avons mangés avec beaucoup de plaisir.

Un oiseau du miel[1] a conduit tantôt mon Masara presque dans la gueule d’un lion ; il n’en était plus qu’à cinq pas, lorsqu’il aperçut le terrible animal, ramassé sur lui-même, et tout prêt à bondir. Mon homme, faisant preuve d’un grand sang-froid, au moins d’après ce qu’il nous raconte, se mit à crier d’une voix forte : « Regarde là-bas ! regarde là-bas ! » désignant en même temps un point opposé à l’endroit où il se trouvait. Là-dessus le lion s’étant détourné afin d’obéir, l’Africain en profita pour faire une prompte retraite.

Avec l’existence de ces Bakalahari qui vivent en plein air depuis qu’ils sont au monde, n’ayant aucune espèce de hutte, ces rencontres imprévues doivent être assez communes. »

Pour ce qui est de l’indicateur, que l’on a déjà accusé de pareilles méprises, Baldwin a répondu plusieurs fois à son appel, en des localités bien différentes, et c’est toujours auprès d’une ruche qu’il a été conduit. En certaines saisons, il lui est bien arrivé d’y trouver fort peu de chose, à la fin de l’hiver, par exemple, ou quand il avait plu longtemps de suite. « Néanmoins, écrit-il après une de ces recherches peu fructueuses, j’ai eu beaucoup de plaisir à suivre le pauvre petit ; il y a dans cette course amusante un intérêt qui vous passionne.

« Quand je suis arrivé, Joubert et ses fils, qui sont de très-grands chasseurs, étaient à court de munitions, Franz avait tué, mirabile dictu, avec la même balle, trois ou quatre mâles de caama, l’espèce la plus farouche, la plus difficile à rallier de toute la famille des antilopes ; et qui par surcroît, a la vie dure.

Il était dehors au point du jour, n’épargnant ni son temps, ni sa peine, se traînant dans l’herbe jusqu’à ce qu’il fût bien sûr du coup ; il n’avait dans son fusil que juste la quantité de poudre suffisante pour que la balle pût traverser la peau et arriver à l’endroit où elle donnait la mort. Il ouvrait la bête, reprenait sa balle et rechargeait son fusil. Chaque dépouille de caama, une fois tannée, lui valait de douze à quinze shillings. »

Quant aux lions, il est rare qu’ils sortent de leur retraite à la clarté du soleil ; et leur rencontre est peu dangereuse pour l’homme, dont ils évitent la présence. Baldwin, qui les a souvent troublés dans leur repos, les a toujours vus s’éloigner ; mais leur colère est terrible, quel que soit le moment auquel on les provoque. « Les lions, chose tout à fait exceptionnelle, dit notre chasseur en parlant d’un jeune boër, lui avaient tué son cheval en plein jour, et il promit d’en tirer vengeance. Peu de temps après, lui et son frère John, ayant aperçu trois lions, ils les poursuivirent. Tous deux étaient à pied ; Franz, celui dont je parle, parvint, en se traînant au milieu des broussailles, à se placer au-dessous du dernier de la bande, qui se trouvait être une lionne. Il se releva, l’attendit de pied ferme, appuya sur la détente, mais sans aucun résultat ; et, au moment où son arme un fusil à pierre, ratait pour la seconde fois, la lionne sauta sur lui, et, le déchirant, le mordant avec fureur, le mutila pour toujours. Elle lui broyait la cuisse, lorsqu’une balle de John la lui tua sur le corps.

Il y avait peu de jours que le fait s’était passé lorsque le brave enfant me le raconta. » Je l’aurais tuée, me disait-il avec le plus grand calme, si mes deux coups n’avaient pas raté ; » et le seul regret qu’il exprimât était de n’avoir pas eu un fusil à percussion.

Cependant l’attaque n’est pas toujours aussi dangereuse. Une fois apprenant par un Masara qu’il y avait un lion dans le voisinage, je partis immédiatement. L’homme qui m’avait averti refusait de m’accompagner, puis il se décida, prit la piste, la suivit pendant un demi-mille, et s’enfuit tout à coup en gesticulant comme un possédé. Le lion, à qui le vent portait mes effluves, était à demi couché sous d’épaisses broussailles situées à une soixantaine de pas. J’allai droit à lui : il me guettait d’un œil attentif ; mais avant que j’eusse mis pied à terre, il me tourna le dos et s’éloigna. Il marchait paisiblement : j’aurais eu plus d’une fois l’occasion de le tirer, si je ne m’étais dit qu’il valait mieux l’attaquer en face. Jusque là, Férus était bien disposé, il avait suivi la bête sans répugnance ; dès qu’il fut sous le vent du lion, il se mit à renâcler et se cabra violemment. De son côté, en

  1. Coucou indicateur.