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mon cheval tomba sur de grosses pierres. Renversé par le courant, il fit un effort, se releva, et je restai le pied gauche dans l’étrier, la tête et les épaules au fond de l’eau. Mon cheval continuait paisiblement sa route, me traînant sur les cailloux, et je me noyais au plus vite. Heureusement qu’il avait une longue crinière, et qu’étant parvenu à lui serrer fortement la jambe au-dessus du genou avec la main droite, je pus me soulever de manière à saisir une poignée de crins. J’arrivai de cette façon à mettre la tête hors de l’eau, jusqu’à ce que l’animal, ne se pressant pas davantage, finit par aborder. J’avais bu à large dose, et les maux de cœur, les vertiges, les bourdonnements dans les oreilles me rendirent très-malade pendant quelque temps, sans parler d’une blessure que je m’étais faite au cou-de-pied. Il est fort heureux que mon cheval ait eu ce caractère paisible qui distingue la plupart des chevaux cafres. Je me promis bien désormais de quitter mes étriers chaque fois que j’aurais à passer l’eau ; et je me suis tenu parole.

Je m’élançai dans la rivière (voy. p. 405).

J’ai ramassé il y a quelques jours deux Allemands qui veulent gagner le Natal. L’un d’eux avait un fusil d’assez mauvaise apparence ; je le priai de vouloir bien décharger cette arme suspecte avant d’entrer dans le wagon. Le fusil éclata ; l’homme eut trois trous dans son chapeau, un dans la tempe, et les deux yeux brûlés. Il tomba inondé de sang ; j’ai cru qu’il était mort.

Nous l’avons lavé, pansé, bandé de notre mieux, et aujourd’hui il ne paraît pas beaucoup plus mal qu’avant cet accident.



DU NATAL AU ZAMBÈSE.

1860.


Chute de cheval. — Personnel de l’expédition. — Région nouvelle. — Poursuite de trois élans. — Tué un oryx. — Chargé par un éléphant. — Ce qu’est la chasse à l’éléphant. — Poursuite d’une girafe au milieu des rochers. — Cataractes du Zambèse. — À l’afût. — Sérénade. — Chasse au lion.

17 avril. — Je suis actuellement à quatre cent cinquante milles du Natal. Jusque-là tout s’était bien passé ; aujourd’hui, en chassant le zèbre, mon cheval a mis le pied dans un trou, et m’a fait deux ou trois culbutes sur le corps. Je suis tout meurtri ; mon couteau et mes balles, que le poids de Midnight m’avaient enfoncées dans les côtes, sont ce qui m’a fait le plus souffrir. Néanmoins, rien de tout cela n’est grave, et j’espère remonter à cheval d’ici à quelques jours ; mais pendant les dix premières minutes j’ai cru que c’était fini. Depuis notre départ, nous avons eu bonne table : canards sauvages korans et gangas que m’a fait tuer ma petite Juno ; c’est toujours une bête inappréciable. Cette année, d’ailleurs, je suis bien monté en chiens ; Ponto, un vieux madré plein d’expérience, est presque aussi bon que Juno ; et Painter, Gyp, Wolf et Captain sont parfaits pour la grosse bête. Avec cela j’ai cinq chevaux, six Cafres, un Hottentot, cent livres de poudre et cinq cent livres de plomb ; me voilà en mesure d’aller n’importe où ; je n’ai plus qu’à suivre mon humeur aventureuse.

18 mai. — Nous entrerons demain dans une région nouvelle ; pas un de nous qui en ait même entendu parler. Mon projet est d’aller droit au nord ; chaque fois que j’en trouverai l’occasion, je m’emparerai d’un indigène qui nous servira de guide. C’est une vie émouvante, pleine d’espoir et de déceptions, de plaisirs et d’angoisses, de succès et de revers ; elle a des charmes irrésistibles ; mais elle exige un esprit résolu, de l’énergie et de la persévérance.

J’ai acheté du grain tant que j’ai pu en emporter, une quantité de chèvres, et j’ai fait une masse de saucissons.

Avant-hier j’ai frappé deux tssessébés du même coup ; l’un a été tué raide, le second a eu la jambe cassée ; a pris l’eau, et les chiens l’ont abattu.

Aujourd’hui, un élan superbe, une femelle grasse, a été réduite aux abois. Je suis revenu peu de temps après avec January et sept indigènes ; une piste récente fut bientôt découverte et nous fit décrire un cercle régulier. Malgré le profond silence que nous avions gardé, les élans avaient senti notre approche et s’étaient enfuis à toutes jambes, comme le témoignaient leurs empreintes. January mit son cheval au galop, conserva cette allure, autant que le permit l’état du fourré, et suivit les traces d’une façon miraculeuse pendant trois ou quatre milles. J’étais derrière lui, monté sur Férus, qui commençait à respirer bruyamment ; January galopait toujours, malgré l’épaisseur du bois, et je finis par avoir trois femelles en vue.

Mes compagnons avaient fait leur devoir ; c’était maintenant à moi de prendre la tête. Je me contentai d’abord de suivre de loin mes trois élans pour que mon cheval reprît haleine ; puis, arrivant à une éclaircie, je lâchai la bride à Férus, qui partit comme une flèche.