Page:Le Tour du monde - 08.djvu/412

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quatre qui restent sont d’une défiance peu commune ; au moindre bruit elles se jettent sous la berge opposée au vent et disparaissent avec la rapidité de l’hirondelle.

N’oublions pas de noter quelques chasses au lapin, qui, plus que toute autre chose, m’ont rappelé l’Europe. Les lapins sont les mêmes sur toute la terre, et la chasse en est partout fort amusante. Ceux que je tue ici ne diffèrent en rien de l’espèce anglaise, mais ils n’ont pas de terrier ; je les ai toujours vus gîter découvert. Il m’a d’abord été difficile de les atteindre ; j’ai fait chou-blanc les deux première fois, je leur donnais trop d’avance ; mais la troisième j’en ai tué dix.

Pontac, un bœuf que j’avais dressé moi-même et qui était mon favori, a reçu une assegaye de quelque Masara ; j’ai recousu les bords de la plaie, et j’espère le guérir, à moins que le fer n’ait été empoisonné. Lui et Claret, son camarade, ainsi nommée de la couleur de son poil[1], forment bien la plus belle paire de zoulous que j’ai jamais vus ; il est impossible d’avoir de meilleures bêtes de trait.

Quelque mornes et solitaires qu’elles soient, je viens à bout des journées ; mais les nuits sont affreuses. Le vent décline en même temps que le soleil, il cesse avec le jour ; vous ne respirez plus, et l’atmosphère est envahie par des nuées de moustiques. On a de la peine à supporter la moindre guenille, et je suis là, couché sur le dos, frappant à droite, à gauche, en avant, en arrière, partout, les écrasant à poignées sans diminuer le bourdonnement et les piqûres ; implorant le ciel pour que le vent se lève, n’aspirant qu’à être au matin, et sortant du chariot pour regarder les étoiles et savoir quand la nuit doit finir. Alors même que je me résigne à étouffer, je ne suis à l’abri de cette engeance, dont le suçoir traverse l’étoffe, qu’en soulevant la couverture avec les genoux et les coudes. Les nuits calmes sont ce que je redoute le plus au monde ; il y a des instants où je donnerais tout ce que je possède pour un coup de vent qui nous débarrasserait des moustiques.

Il y a une heure et demie environ, January est accouru en me disant : Monsieur ! une autruche qui arrive ! J’ai jeté la plume, pour prendre mon rifle, et rampant sous la berge, dans l’espérance que l’animal viendrait boire, je l’ai suivi parallèlement pendant trois milles à peu près ; mais je suppose qu’il avait bu, car il est resté à plus de six cents pas de la rivière…

Chasse à l’autruche.

24 octobre. — Pas de nouvelles du chariot ; voilà plus de trois semaines que j’attends ; je n’ai plus ni à boire ni à manger, et les moustiques me privent de sommeil. Je suis tout défait, tout ridé ; si j’en crois mon télescope, qui me sert de miroir, j’ai la figure d’un vieillard. Presque plus d’épices ; je garde le peu de café qui me reste pour me tenir éveillé pendant les chasses de nuit. Il faut bien aller à l’affût ; impossible de parcourir dans le jour la plaine ardente ; un vent qui vous dessèche, un soleil qui vous grille, des sables qui vous brûlent. L’eau devient de plus en plus salée, répugnante pour l’odorat, aussi bien que pour le goût ; et le gibier qui restait a fini par déguerpir.

À force de persévérance j’ai réduit à deux le chiffre des macreuses, et j’ai tué, au point du jour, le dernier lapin qu’il y eût dans un rayon de huit milles.

La pluie ne vient pas ; les nuages qui me donnaient un peu d’espoir ont disparu.

  1. Roux vineux (claret signifie : vin de Bordeaux), nuance qui est celle de presque tous les bœufs zoulous. Cette race dont les cornes, de moyenne grandeur, décrivent la moitié d’une ellipse, et redressent leur pointe aiguë, est inférieure, pour la taille, aux bœufs dits afrikanders (africains) ; elle est d’une vivacité qui arrive à la pétulance, à la culotte ronde, et fut introduit en 1840 dans la colonie du Cap.
    (Note du traducteur.)