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27 octobre. — J’ai poursuivi hier une autruche, mais sans le moindre succès ; la réverbération du soleil par le sable était trop forte ; les yeux me cuisaient et je me sentais pris de vertige. Malgré cela j’approchai de la bête, mais je tremblais comme un paralytique ; je l’ai manquée, cela va sans dire. Il était deux heures, je n’avais encore rien pris. J’ai déjeuné d’un talo cru, espèce de tubercule ayant la pulpe molle, douce et acqueuse, et l’ai arrosé d’eau claire, tirée d’une panse de couagga. Horrible chose que de boire à pareil vase, et qui exige beaucoup d’adresse ; mais grâce à l’évaporation l’eau y est d’une fraîcheur remarquable, et par le soleil le plus ardent.

4 novembre. — Par une chance inattendue, car je ne croyais pas qu’il y eût dans les environs une seule pièce de gibier, nous avons tué, depuis quelques jours, six antilopes, dont un élan, une rouane et un gnou bleu, deux rhinocéros et un couagga ; plus un lion, dont la chasse vaut la peine d’être racontée et que j’ai gardée pour la fin.

Vendredi le vieux capitaine des Masaras vint me faire une visite ; il avait vu un lion sur sa route et avait laissé une partie de ses gens pour le surveiller. Je travaillais au soleil depuis le matin, à faire un timon de chariot ; je n’en pouvais plus, j’étais boiteux, j’avais la main tremblante, et ne me sentais pas disposé a faire un coup d’adresse. Néanmoins je donnai l’ordre de seller Férus qui lui-même n’était pas des plus frais, ayant dans la matinée couru, à fond de train, derrière un élan maigre.

Balwin poursuivi par un buffle (voy. p. 410).

J’aperçus bientôt vingt-cinq Masaras qui, chargés de leurs asségayes et de leurs boucliers, étaient accroupis dans la plaine ; au même instant mon regard fut attiré par un crâne humain dont la vue me frappa comme un sinistre présage ; il me vint à l’esprit que le mien pouvait être destiné à blanchir au même lieu ; toutefois je ne permis pas à cette pensée d’ébranler mes nerfs, et je continuai ma route. Le lion avait décampé ; les Masaras prirent ses traces, et le firent déboucher à deux milles environ du point de départ. Je ne le vis pas d’abord ; mais ayant pris la direction que m’indiquaient les dépisteurs, je ne tardai pas à le découvrir. Il se laissa poursuivre pendant environ mille yards, car il était loin de moi ; puis s’arrêta dans un épais hallier. Je mis pied à terre, lorsqu’il n’y eut plus entre nous qu’une soixantaine de pas, et tirai sur lui ; je n’apercevais que la ligne supérieure de son corps, et il tomba si instantanément, que je pensai l’avoir tué raide. Je remontai à cheval, rechargeai, décrivis un demi-cercle, et me levai sur les étriers pour voir ce que le lion était devenu. Je l’avais manqué ; ses yeux brillaient d’un tel éclat, il était couché si naturellement, n’ayant de dressé que les oreilles, d’un noir sombre vers la pointe, que cela ne faisait pas le moindre doute.

Je me trouvais à quatre-vingts pas de lui, une immense fourmilière était devant moi, à quinze yards ; je pesai les chances que pouvait me donner ce monticule, et je venais d’ébranler mon cheval pour m’en rapprocher, lorsque le lion, rugissant avec fureur, et venant à bondir, fit pirouetter Férus qui s’enfuit ventre à terre.

Mon cheval était rapide ; il avait forcé l’oryx ; mais l’allure du lion était effrayante.

Penché en avant, les éperons dans les flancs du cheval qui volait sur un terrain ferme, uni, excellent pour la course, je jetai les yeux derrière moi. Le lion avançait : deux bonds pour un des miens ; je n’ai rien vu de pareil, et ne désire pas le revoir. Me retourner sur la selle et tirer me vint à l’esprit ; trois enjambées nous séparaient. Au lieu d’appuyer sur la détente, j’imprimai