Page:Le Tour du monde - 08.djvu/79

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sol, des enfants se roulent parmi des jouets, et la jeune mère présente au mineur son dernier né, dont les petits bras semblent chercher le baiser d’adieu. Ce dessin me rappelait les célèbres adieux d’Andromaque et d’Hector ; j’y retrouvais les mêmes sentiments, la sombre inquiétude qui naît de l’idée d’une mort peut-être prochaine, l’enfance mêlant ses grâces ignorantes aux troubles de l’âge mûr. Ce qui donne au poëme homérique une jeunesse éternelle, n’est-ce pas la peinture des passions que l’homme éprouvera toujours, dans tous les pays, tant qu’il saura aimer et souffrir ?

« Le jeune mineur, après avoir terminé son apprentissage dans les ateliers extérieurs des mines, commence enfin son existence souterraine : chaque semaine, il doit descendre six fois dans les mines et y demeurer pendant huit heures ; il arrive à l’entrée du puits en costume de travail, avec un bonnet de feutre épais pour garantir sa tête contre les coups, et autour des reins un morceau de cuir pour travailler assis dans des terres mouillées par des eaux vitrioliques. Un habit de toile grise, une petite lampe qu’on suspend par un crochet, des outils de forage complètent son équipement. Quand les mines n’ont pas une profondeur excessive, on y descend simplement par des échelles. Tout le long du puits, creusé dans le rocher, sont de petits planchers reliés par des échelles droites ; on descend sur l’une d’elles et l’on arrive sur le plancher inférieur, percé d’un trou assez large pour laisser passer un homme ; on descend par ce trou sur l’échelle suivante, et ainsi de suite. Qu’on se figure un tel exercice prolongé pendant une ou deux heures ; les barreaux des échelles sont sales et fangeux, l’eau suinte de toutes parts, la lampe fumeuse ne jette qu’une lueur rouge et vacillante. L’on descend, l’on descend toujours, et le mineur est déjà épuisé avant de commencer son véritable travail. La montée et la descente ne sont pas la partie la moins pénible de son existence ; ce n’est pas une distance de quelques mètres qui le sépare de son chantier, ce sont des distances effrayantes de plusieurs centaines de mètres. À Andreasberg, localité depuis longtemps célèbre pour ses minerais d’argent, le puits Samson, le plus profond qui existe au monde, descend à deux cent trente mètres au-dessous du niveau de la mer du Nord, et à sept cent quatre-vingt-onze mètres au-dessous du sol. Le puits du comte George-Guillaume, à Clausthal, a six cent quatre mètres de profondeur. Une invention extrêmement ingénieuse, qui remonte à l’année 1833, a diminué en grande partie la fatigue des descentes et des ascensions perpétuelles : c’est celle des machines nommées fahrkunst. On la doit à un simple bergmeister (maître mineur) du Harz, nommé Dörell (voy. p. 53).

« Aujourd’hui les fahrkunst sont établis au Harz dans toutes les mines dont la profondeur est très-considérable.

« Arrivé dans les galeries souterraines, le mineur se dirige souvent par un véritable dédale vers le point où il attaque le filon, et pendant huit heures il est occupé à forer des trous dans la roche pour la faire sauter à la poudre. Quand toutes les précautions ont été prises et qu’il vient d’allumer la mèche, il s’éloigne rapidement et attend l’explosion en avertissant tous ceux qu’il rencontre. On entend bientôt un bruit sourd : dès que le nuage de vapeurs s’est un peu dissipé, le mineur va détacher de la roche à grands coups de maillet tous les débris qui y adhèrent encore, il sépare les morceaux qui contiennent une portion de filon de ceux qui sont tout à fait stériles et qui servent à combler les anciennes galeries épuisées. Le minerai, placé dans de petits chars qu’on nomme chiens de mine, est porté, par des chemins de fer, à l’orifice des puits, d’où on l’extrait.

« Il arrive quelquefois que la charge de poudre fait explosion pendant que le mineur est encore au milieu de ses préparatifs, surtout au moment où il retire du trou de forage déjà rempli de poudre la tige en fer qui doit donner place à la mèche, et qui peut faire jaillir une étincelle au frottement de la pierre. Le malheureux ouvrier est alors brûlé, mutilé et souvent tué sous les débris qui l’écrasent. Je rencontrai un jour au milieu d’un vallon solitaire, sur la route de Lauthenthal à Grund, un pauvre homme horriblement défiguré ; il me raconta qu’il avait été brûlé par une semblable explosion et n’avait échappé que par miracle. Il était infirme et incapable de travail, passait sa vie à garder des vaches dans la forêt, et offrait des bouquets de fraises aux rares voyageurs qui traversent cette partie de la montagne.

« Faut-il s’étonner de la joie que le mineur ressent à quitter les sombres abîmes où son labeur l’appelle ? Un dessin bien connu dans le Harz représente le mineur à ce moment souhaité : il vient de sortir du puits, il se tient debout, ôte son bonnet comme pour prier et regarde le ciel : Glüch auf ! Rentré pour seize heures dans sa famille, il n’éprouve qu’un besoin, celui du repos. On a souvent essayé d’introduire parmi la population ouvrière des industries de montagne qui pourraient en donnant une occupation aux mineurs, durant leurs moments perdus, leur permettre de gagner davantage et d’introduire un peu de bien-être dans leur vie domestique. Ces essais n’ont jamais réussi. Tous les soins de la maison sont abandonnés à la femme ; c’est elle qui va chercher les provisions, souvent à de très-longues distances ; elle s’occupe seule de tous les détails du ménage. Le mineur passe le temps devant sa fenêtre, presque toujours ornée de quelques fleurs ; quelquefois il s’amuse à élever des oiseaux. Les occupations qui permettent la rêverie sont les seules qui lui conviennent. Il fume pendant de longues heures sans parler, et sa taciturnité croît à mesure qu’il a travaillé plus longtemps dans les mines. Jeune, on le voit encore gai, alerte, remuant ; peu à peu il tombe dans une mélancolie qui n’a rien de sombre, mais qui s’étend autour de lui comme un voile et se trahit par le sérieux du visage et la gravité de ses rares propos.

« L’assistance de l’État, dont il est sûr en cas d’accident et de maladie, l’empêche de se préoccuper de l’avenir et de chercher une condition meilleure. Il ne connaît pas non plus les désordres qui règnent dans un si grand nombre de districts industriels ; il ne s’enivre jamais et