fices remarquables par leur étendue, leur hauteur, et surtout par le mauvais goût qui a présidé à leur construction.
Ce fait est général aux États-Unis, où l’architecture, comme les autres arts, est traitée de la manière la plus déplorable. Il semble que la vie matérielle soit trop facile dans ces pays nouveaux, pour que le sentiment de l’art, raffiné par les délicatesses et les subtilités de la vieille civilisation européenne, ait pu pénétrer dans les esprits. Si le goût du beau ne précède pas ou n’accompagne pas dès le principe le désir et la recherche du bien-être, il y a grand danger qu’il reste en retard et qu’on le mette en oubli.
Un Américain raisonne architecture, à peu près comme un paysan français. Un édifice est très-élevé, il a coûté beaucoup d’argent, et beaucoup de temps ; les pierres sont bien neuves et régulièrement posées, donc il est beau ; il n’y a rien à répondre à de semblables arguments.
Nous fûmes bien vite fatigués de Louisville : la vie d’hôtel, quoique fort confortable, y est aussi ennuyeuse qu’ailleurs, et nous fîmes affaire avec un loueur de voitures, pour une calèche à deux chevaux, avec un cocher mulâtre, que nous pouvions garder tant que nous voudrions, moyennant huit dollars par jour, retour compris.
Au prix où sont les chevaux et l’avoine là-bas, ces gens-là doivent faire de bonnes affaires. D’ailleurs ce loueur était le seul dans la ville qui eût des voitures un peu élégantes, et il en fallut passer par ses conditions.
La route qui conduit à Mammouth-Cave est une des meilleures que j’aie rencontrées dans l’Ouest. Le pays, assez plat, est couvert de forêts interrompues de temps en temps par des plantations de céréales et de tabac, et on n’y rencontre qu’une seule petite ville appelée Mauford, située à quatre-vingts milles environ de Louisville, à la bifurcation du chemin de traverse qui mène aux grottes.
À partir de là pendant les dix milles qui restent à faire, ou monte et on descend alternativement, et nous dûmes souvent mettre pied à terre et pousser aux roues pour franchir les passages difficiles. Enfin nous arrivâmes dans la vallée du Green-River, charmante petite rivière qui mérite bien son nom (Green, verte), couverte qu’elle est par les larges feuilles vertes des nelumbos aquatiques, et des pontederias, dont les fleurs jaunes et les aigrettes bleues forment des bouquets d’une variété charmante à la surface de ses eaux tranquilles.
V
De cette vallée on aperçoit à mi-côte, au milieu d’une végétation luxuriante, l’hôtel de Mammouth, situé près de l’entrée des grottes, sur une pelouse toujours verte, où un petit ruisseau qui descend des hauteurs forme mille méandres capricieux, et, retenu par des rochers de granit, vient gagner de cascade en cascade le Green-River, après avoir formé un lac en miniature.
Ce riant paysage est couronné de rochers à pic, couverts d’une mousse noirâtre, et couchés pêle-mêle dans un désordre inextricable qui annonce une explosion ancienne du feu souterrain. Une large allée sablée conduit les voitures jusqu’au perron de l’hôtel, qui se compose d’une suite de chalets. L’un de ces chalets, le plus grand, sert de salle à manger ; les autres servent de salons de conversation, de café et billard, de cuisine, d’appartements et de chambres pour les voyageurs : quelques-uns, plus petits, sont loués au mois à des familles dont le séjour se prolonge en cet endroit, rendez-vous des flâneurs et des touristes qui visitent le centre des États-Unis.
La première chose que nous apprit un maître d’hôtel qui vint nous recevoir dans le vestibule, fut qu’il n’y avait pas un seul petit coin libre pour nous loger : tous les appartements étaient occupés ou retenus. Comme nous n’étions pas venus de si loin pour nous en aller sans avoir satisfait notre curiosité, je proposai un expédient qui leva toutes les difficultés. En fermant la capote de notre calèche, nous pouvions nous y organiser une chambre un peu étroite, mais très-confortable avec les matelas qu’on s’engageait à nous fournir : notre mulâtre coucherait sur une botte de paille dans l’écurie, et il n’y avait pas à s’inquiéter pour nos estomacs, le garçon nous assurant que la cuisine de l’hôtel était excellente et dirigée par un chef français du plus grand mérite.
On nous servit à déjeuner, puis, vers une heure de l’après-midi, on vint nous prévenir qu’une société composée de six personnes allait visiter les grottes sous la conduite d’un guide, et que les onze autres guides étant occupés, nous serions forcés, dans le cas où nous ne voudrions pas nous joindre à cette compagnie, d’attendre au lendemain pour commencer nos excursions.
Nous n’avions aucun motif de ne pas saisir cette occasion. Il faut cinq ou six jours pour parcourir ces immenses cavernes dont sept ou huit lieues seulement sont connues et où nous avions l’intention de pénétrer aussi loin que possible.
D’après les conseils que nous donna le maître d’hôtel, nous changeâmes nos habillements de toile pour de solides vêtements de drap et nous descendîmes vers la société à laquelle on nous avait annoncés.
Après des remercîments de notre part et des salutations réciproques, nous nous acheminâmes du côté des grottes par un petit sentier escarpé au milieu des rochers.
Quelques minutes après nous sentîmes un courant d’air froid qui nous enveloppait et nous aperçûmes dans le flanc de la montagne une ouverture fort basse et à peine assez large pour laisser passer deux personnes de front : c’était l’entrée fort mesquine d’ailleurs des fameuses grottes. Notre guide alluma une torche et un jeune Allemand qui se joignit à nous en prit une autre. Les plus grands d’entre nous durent se courber pour