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Nous fûmes frappés de la sonorité causée par les vibrations successives de mille échos qui se produisent au centre du lac, sonorité telle que nous entendions distinctement un bruit de paroles et le clapotement des avirons d’une autre barque, naviguant sur les mêmes eaux, quoiqu’elle fût à plus de cinq cents pas de nous, d’après ce que nous assura le guide.

Au milieu du Styx se trouve un fort remou qui fit tourner brusquement trois ou quatre fois notre embarcation sur elle-même : il y a là un gouffre naturel où une partie des eaux va disparaître.

Grottes de Mammouth. — Styx-River. — Dessin de Gambard d’après M. Deville.

Dès que le bateau eut repris son équilibre, notre Allemand, qui, en sa qualité d’habitué des grottes, était là comme chez lui debout sur l’arrière de la barque, se mit à entonner une ballade de Weber d’un caractère tout infernal.

Je ne sais s’il faut attribuer l’effet qu’il produisit sur nous aux circonstances toutes particulières où nous nous trouvions, mais son chant habilement dirigé, et merveilleusement aidé par la sonorité du lieu, évoquait autour de nous l’idée de gnomes et de démons qui semblaient, réveillés par sa voix puissante, accourir avec des sifflements sinistres des profondeurs de l’abîme.

Jamais une voix humaine ne m’a causé une semblable émotion.

Tous, nous restâmes immobiles et sans souffle tant que cette incantation étrange ne fut pas terminée ; mais au moment où nous allions complimenter le chanteur, des applaudissements et des bravos réitérés, auxquels nous nous joignîmes, partirent de l’autre barque, qui peu à peu s’était rapprochée de nous.

En ce moment notre embarcation toucha terre, et le jeune Allemand reprenant sa torche y sauta d’un pied ferme, et disparut dans une galerie latérale pour se dérober plus vite à l’ovation dont il était menacé.

C’est à la mer Morte et à la rivière du Styx que s’arrêtent généralement les visiteurs qui reviennent à la sortie d’Ammeth par le même chemin qui les y a conduits.

La partie que nous allions parcourir, où se rencontrent des passages plus difficiles, et où quelques éboulements ont eu lieu, est rarement visitée.

Une suite de galeries, de dômes et d’excavations nous conduisit, une lieue plus loin, au vignoble de Marthe, ainsi nommé à cause des stalagmites qui boursouflent le sol, et rappellent par leur disposition symétrique une rangée d’échalas, puis au ravin des boules de neige, couvert d’efflorescences gypseuses. De là on passe par des sentiers escarpés, entourés de précipices, sur les montagnes Rocheuses, où l’on trouve un gouffre appelé le Trou terrible, très-large, d’une profondeur incalculable, et au fond duquel on entend bouillonner les eaux souterraines.