Page:Le Tour du monde - 08.djvu/96

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monde, sans en excepter les voyageurs les plus prosaïques. Cette avenue aboutit à la salle de bal, aux murailles de Neige (Snow ball room) ; ]’enduit brillant qui les recouvre est effectivement d’une éclatante blancheur. Des chemins tour à tour larges ou étroits, unis ou escarpés, nous conduisent de là aux montagnes Rocheuses (Rocky mountains), où il faut sans cesse gravir d’énormes quartiers de roche détachés de la voûte. À travers leurs aspérités et de larges fissures, qui semblent présager d’autres éboulements considérables, on parvient enfin à la grotte des Fées (Fairy grotte), où, de toute part, les stalactites rangées en immenses colonnades forment d’élégants arceaux d’un aspect vraiment féerique. De tous côtés suinte l’eau ; de tous côtés l’on entend tomber les gouttelettes dont la chute sonore retentit dans ces ténébreuses retraites. Au fond même de la sale, on remarque un groupe imitant la cime d’un immense palmier. Les branches, gracieusement inclinées, semblent sculptées dans un bloc d’albâtre oriental. Au sommet de ce gracieux ensemble, jaillit une source, créatrice séculaire de tous ces dépôts calcaires qui brillent du reflet de nos torches. La lumière, promenée dans les vides laissés entre ces formations sédimentaires, en fait ressortir toute la transparence. Les délicats arceaux, ornés de franges bizarrement découpées, qui s’étendent au-dessus de la tête de voyageurs, peuvent figurer à leurs yeux une élégante tonnelle de marbre blanc. Aussi, les touristes donnent-ils à ce singulier groupe le nom de palmier ou de tonnelle merveilleuse, suivant leurs appréciations particulières.

La grotte des Fées, située à une des extrémités de la caverne, se trouve à seize kilomètres de son ouverture.

Je ne regagnai pas celle-ci sans une sorte d’impatience fébrile ; j’avais passé dix heures dans ces souterrains, et le souvenir de la chasse infernale dont ils avaient été le théâtre naguère m’en gâtait les merveilleuses beautés. J’avais besoin de revoir le jour et le ciel, et je les saluai avec bien-être.

Grottes de Mammouth. — La mer Morte (voy. p. 90). — Dessin de E. de Bérard d’après M. Poussielgue.

Quand je remis le pied sur la surface du sol, la lumière et le paysage me parurent empreints d’un charme particulier, dû peut-être en partie au contraste des ténèbres où je venais de vivre presque tout un jour. Mais c’était en effet une bien belle soirée. Le clair azur des cieux était sans voile. La brise, chargée de parfums, courait sur la terre comme une caresse. Sous la feuillée, les petits oiseaux modulaient leurs chants les plus doux, et des nuées d’insectes tourbillonnaient et dansaient dans les rayons du soleil incliné sur l’horizon du couchant. De ce côté, les grands bois déroulaient leurs majestueux rideaux de verdure jusque vers les beaux rivages de l’Ohio, tandis que vers l’est et le sud, leurs cimes ondulaient par-dessus les pentes légèrement inclinées de la plaine. Sur chaque clairière se dressait une blanche habitation, souriant dans la pleine abondance d’une moisson d’été. Tout autour d’elle les arbres des ses vergers inclinaient vers la terre leurs branches chargées de fruits ; nonchalamment couchés dans l’herbe épaisse, les troupeaux ruminaient lentement, calmes et reposés, comme s’ils eussent savouré, eux aussi, les beautés de la scène dont ils faisaient partie, et le fermier, contemplant le tout, semblait frappé d’extase devant les inépuisables largesses de la nature… Oh ! pourquoi la tache hideuse de l’esclavage s’étendait-elle sur cet homme et sur ce paradis ?