Page:Le Tour du monde - 09.djvu/156

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prit obtus des sauvages. Nous eûmes toutes les peines du monde à les dissuader de l’idée que nous avions voulu attenter à leurs jours. Fray Bobo dut intervenir en personne et appeler à son aide les ressources oratoires de la chaire. Il alla jusqu’à présenter aux Antis un petit crucifix, en leur offrant de jurer sur la sainte image que nos intentions avaient toujours été pures et nos cœurs pleins de bienveillance à l’endroit de nos alliés.

À peu près convaincus par les discours de notre chapelain que nous n’avions jamais eu l’intention de nous défaire d’eux, les sauvages parurent disposés à rester encore avec nous. Quelques articles de bimbeloterie que nous leur distribuâmes sur-le-champ, des sourires et des nasardes amicales que nous y ajoutâmes comme appoint, rendirent un peu de sérénité à leurs âmes troublées. Nous profitâmes de l’embellie survenue dans leur humeur pour nous préparer au départ, rallier nos pirogues et inviter gracieusement nos alliés à y prendre place avec nous ; à peine y furent-ils assis, que nous fîmes pousser au large. Cinq minutes après, la plage d’Umiripanco, témoin des débats polyglottes dont l’issue avait failli nous être fatale, disparaissait derrière nous.

Palmiers tarapote.

Si la boussole et le chronomètre que j’avais eu constamment sous les yeux depuis mon départ ne m’eussent indiqué en ce moment la direction de la rivière, un simple regard jeté sur ses berges m’eût fait pressentir que nous portions de plus en plus à l’est. Les cerros et les entassements du grès nous tenaient toujours, il est vrai, fidèle compagnie, mais l’aridité de leurs plans était dissimulée par la végétation qui semblait se réveiller de son long sommeil. Çà et là s’ouvraient des gorges profondes où moutonnaient, pressés comme les vagues d’une mer, des touffes et des massifs, qu’à leurs feuilles cordiformes, à leurs panicules de fleurs blanches ou lilas, jaunâtres ou carnées, je reconnaissais pour des cinchonas.