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teur, soit dit en passant, ne croissent guère qu’entre douze cents et huit cents mètres d’altitude. Dans quelques vallées du Pérou et sur une étendue de plusieurs degrés, la région des fougères arborescentes domine parfois de quatre à cinq cents mètres celle des quinquinas ; parfois encore ces deux régions distinctes sont si bien confondues, qu’il est impossible d’assigner à chacune d’elles des limites précises. En beaucoup d’endroits la zone climatologique occupée par les variétés actives des cinchonas, — ne pas confondre avec leurs variétés inermes presque toujours plus rapprochées de la Cordillère, — cette zone est inférieure de trois à quatre cents mètres à la région qu’habitent les palmiers ceroxylon, tarapote et yuyu. Le bananier, qui d’après les bases fixées par le même traité ne donnerait plus de fruits mûrs à dix-huit cents mètres au-dessus de la mer, en produit de très-savoureux à Huiro, dans la vallée de Santa-Ana, c’est-à-dire à deux mille six cents mètres d’élévation. Quant à la région des graminées, représentées aux revers des Andes par les genres jarava, stypa, panicum, agrostis, avena, dactylis, etc., région que le traité de géographie précité ne fait commencer qu’à quatre mille deux cents mètres d’élévation, elle commence, n’en déplaise au même traité, à la hauteur d’environ mille mètres, sur les assises inférieures de la sierra de San-Carlos et les derniers versants du Pajonal.

Cette critique de détail, qui prouve qu’il est aussi dangereux de croire à la vertu des chiffres que de ne pas y croire, cette critique, d’ailleurs très-anodine, ayant quelque peu calmé notre bile et détendu nos nerfs, nous en continuerons l’application comme remède. Seulement, par égard pour la prescription de l’axiome non bis in idem, nous passerons du contenant au contenu, de la région des quinquinas que nous traversons, aux oiseaux qui l’habitent, et signalerons une erreur que des voyageurs plus enthousiastes que sensés, ont accréditée parmi nous. Cette erreur a trait aux coqs de roche péruviens que ces voyageurs ont vus se rassembler par douzaines au sommet d’un tertre ou d’une éminence, et exécuter, sous les yeux des passants, des danses effrénées, des galops fantastiques, qui rappelaient la ronde du sabbat de Louis Boulanger.

Avant de passer outre, constatons d’abord que Cuvier a fait de ces oiseaux un genre de la famille des manakins dans l’ordre des passereaux ; qu’avant lui, Linnée les avait rangés dans son genre pipra, d’où Brisson les a séparés sous le nom générique de rupicola ; puis, ceci constaté, proposons ensuite de substituer à l’épithète de rupicola, donnée par Brisson, adoptée par Wieill et leurs continuateurs, le nom de tunki, qui est celui de l’oiseau au Pérou. Ce nom patronymique, pour peu que les savants consentent à y ajouter le qualificatif peruvianus, aura l’avantage d’apprendre au lecteur ce qu’il avait ignoré jusqu’ici : le nom véritable de notre oiseau et celui du pays qu’il habite.

Le tunki du Pérou était connu des anciens Mexicains qui l’appelaient iquequemilt, à cause du cri de l’animal qu’on pourrait exprimer par la syllabe , trois ou quatre fois répétée d’un ton rauque et traînant. Après la conquête du Mexique et l’introduction par les Espagnols de quelques-uns de nos oiseaux de basse-cour, les Aztèques et à leur exemple les nations limitrophes, ayant donné au coq domestique, l’alector des Grecs, le gallus des Latins, le nom de chiacchialacca (chiac-chia-lacca), qui dans la langue de ces peuples est l’onomatopée du cri de l’animal, comme chez nous celle de co-que-ri-co, ils crurent devoir appliquer ce même nom à l’iquequemilt, tant à cause des instincts pulvérulateurs de cet oiseau qui leur paraissaient le rapprocher des coqs et des poules de basse-cour, que de sa manie de fouiller la terre comme eux pour y chercher une pâture.

Le coq de roche péruvien, pour lui conserver son appellation vulgaire, diffère de l’individu de la Guyane, le rupicola aurantia de Wieill, par sa taille, la couleur de son plumage et surtout par ses habitudes. Il a comme le premier la tête surmontée d’une huppe longitudinale en figure de demi-courbe, formée d’une double rangée de plumes, mais plus haute et plus épaisse que celle de son congénère. L’œil de l’oiseau, d’un mauve pâle, est terne et atone comme celui du geai européen. La couleur de son plumage est un vermillon orangé très-vif et très-brillant, les remiges et les rectrices sont d’un beau noir. Le croupion est d’un cendré bleuâtre. Le bec et les pattes sont jaunes ; les ongles noirs ; sa taille égale celle d’un ramier, mais est plus trapue. Chez ces oiseaux, la femelle est plus petite que le mâle et d’une nuance générale marron lavé de carmin. Au lieu de vivre solitaire dans la profondeur des cavernes, comme son émule le coq de roche de la Guyane, à qui les naturalistes ont donné les mœurs du hibou, le tunki du Pérou, habite, par groupes de cinq à six individus, les taillis ombreux et se plaît dans le demi-jour des clairières. On le trouve entre la région des fougères arborescentes et celle des quinquinas où il occupe une zone d’environ dix lieues de largeur qu’il ne franchit jamais. Son vol est lourd et de peu d’étendue ; quand il se perche, c’est sur les basses branches des arbres, habituellement il se tient à terre pour y chercher des vers et des insectes qu’il déterre à l’aide de son bec et de ses pieds robustes pourvus de quatre doigts, dont trois en avant, l’externe uni à l’intermédiaire au-dessus de la seconde articulation et l’interne soudé à la base de ce doigt. Le pouce, dirigé en arrière, est très-fort et armé d’un ongle crochu. Chez ces oiseaux, le nombre des mâles l’emportant sur celui des femelles, on peut voir à l’époque de leurs amours (décembre, janvier), sept ou huit d’entre eux poursuivre une femelle de démonstrations passionnées et exécuter autour d’elle ces haut-le-corps, ces enlacements circulaires, accompagnés de renflements de gorge, qui caractérisent la gymnastique amoureuse de nos pigeons. Pendant que ces coqs témoignent ainsi leur ardeur à la poule de leurs pensées, celle-ci, perchée à quelques pas, les regarde faire d’un air distrait et presque indifférent ; elle attend, pour s’attendrir et donner sa patte et son cœur, que le plus brave et le plus fort de ces sou-