VOYAGE DE L’OCÉAN PACIFIQUE À L’OCÉAN ATLANTIQUE, À TRAVERS L’AMÉRIQUE DU SUD,
PÉROU.
SEPTIÈME ÉTAPE.
DE CHULITUQUI À TUNKINI.
À quatre heures précises, une main amie me débarrassait de ma couverture et me secouait rudement. Mon tour de faction était venu. Je me levai en trébuchant et j’allai droit à la rivière faire mes ablutions. Quand les dernières fumées du sommeil se furent dissipées, je fis le tour du campement, non par mesure de sûreté comme on pourrait le croire, mais par amour du pittoresque et pour juger des poses plus ou moins classiques qu’avaient pu prendre nos amis. Les membres et les serviteurs de la commission française, étendus autour de leur chef, dormaient comme des bienheureux, les uns sur le dos et la bouche ouverte, les autres façonnés en Z et les genoux au niveau du menton. La commission péruvienne, à l’exemple de sa voisine, était plongée dans un heureux sommeil que les ronflements de notre aumônier berçaient sans pouvoir l’interrompre. À quelques pas de là, près du foyer en cendres, les Antis, encapuchonnés dans leur sac et ne montrant ni bras ni jambes, ressemblaient à des tortues abritées par leur carapace. Nos rebelles manquaient à la réunion, et je pensai qu’ils étaient allés cuver leur mazato à l’écart.
Ce paysage à demi noyé dans les vapeurs de l’aube, bordé d’un côté par la nappe grise de la rivière, de l’autre par la ligne sombre de la forêt ; ce ciel, dont les étoiles pâlissaient comme des yeux mourants à mesure que la nuit approchait de sa fin, tout cet ensemble de teintes mixtes, de lignes indécises et de contours inachevés constituaient l’ébauche d’un tableau plutôt que le tableau lui-même et laissaient les yeux et l’esprit flotter dans un vague charmant. Les corps de nos amis étendus pêle-mêle, morts en apparence et vivants en réalité,
- ↑ Suite. — Voy. t. VI, p. 81, 97, 241, 257, 273 ; t. VII, p. 225, 241, 257, 273, 289 ; t. VIII, p. 97, 113, 129 ; t. IX, p. 129 et la note 2, et 145.