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d’éléments indiens, persans, byzantins, qu’on nomme vulgairement style arabe. Les premiers princes de la famille d’Osman eurent le bon goût d’en respecter les traditions, et l’on croit à un reflet de Bagdad, quand, après avoir franchi la porte de Lefké, on voit tout d’un coup briller au-dessus des masses sombres que présentent les autres ruines, le minaret de fayence émaillée de la Yéchil-Djami[1], où les nuances les plus vives, rouges, vertes, bleues, rivalisent de fraîcheur et d’éclat.

Cette mosquée est un vrai bijou ; les balustrades qui ferment le portique, les arabesques gravées dans le marbre blanc de la façade, peuvent soutenir la comparaison avec les créations les plus gracieuses du génie des Maures d’Espagne. On gémit en voyant l’état d’abandon ou est tombé ce délicieux monument.

La Yéchil-Djami, toutefois, est encore affectée au culte ; elle dépend d’un médressé[2] où une douzaine de softas[3] sont entretenus. Ces pauvres jeunes gens occupent une série de petites cellules rangées en fer à cheval autour d’un verger dont la mosquée forme le quatrième côté, et s’y livrent à l’étude du Coran avec toutes les apparences d’une profonde mélancolie.

Près de là sont les ruines d’un vaste et bel édifice surmonté de plusieurs coupoles et construit en pierres et briques ; il contenait des bains.

On sait que les musulmans attachent une grande importance aux établissements de cette nature, et ne croient pas pouvoir y déployer trop de luxe. Une inscription, placée au fond du portique qui précède ces bains, nomme leur fondatrice, Nilufer fille du sultan Mourad fils d’Orkan ; elle est datée de l’an 790 de l’hégire (1388).

La Yéchil-Djami porte aussi, gravé sur sa façade, le nom de celui qui l’a fait construire, c’est le fameux vizir Khayr-Eddin, le vainqueur de Salonique ; elle est de dix ans plus ancienne que les bains.

Du milieu de ces débris d’édifices païens, chrétiens, musulmans où abondent les contrastes, surgissent encore les arcades ogivales, les balustrades, les minarets de quelques anciens imarets[4] ou mosquées. Vouloir les décrire serait tomber dans les redites ; mais cette richesse de détails fait la grandeur d’ensemble du tableau que présentent les ruines de Nicée. Après l’avoir contemplé, on éprouve le besoin de feuilleter ce que les historiens ont écrit sur cette cité.

Ses grandeurs et ses infortunes, avant le quatrième siècle, ne la distinguent point de tant d’autres villes dont les princes, issus des généraux d’Alexandre, se sont si longtemps disputé la possession, et que les Romains leur ont enlevées plus tard, inaugurant pour elles, comme pour tous leurs municipes, une ère de prospérité qui n’a pas de retentissement dans l’histoire.

Nicée arrive à être hors de pair, lorsque Constantin, voulant mettre fin à la scission profonde produite au sein de l’Église et de l’empire par les menées d’Arius, la désigne « à tous les évêques de la terre habitable » suivant les expressions d’Eusèbe, pour y tenir les premières grandes assises de la chrétienté.

L’empereur pourvut aux frais de voyage de tous les prélats, mettant à leur disposition des voitures et des mulets pour eux et pour leur suite.

Vers le milieu de juin de l’année 325, plus de trois cents évêques étaient réunis à Nicée. Là se rencontrèrent ces confesseurs, débris des saintes phalanges qui avaient affronté les persécutions, et dont les noms glorieux étaient depuis longtemps prononcés avec respect d’un bout à l’autre de l’empire. Leurs collègues et le peuple se pressaient, pleins d’émotion, à leur rencontre. À côté d’eux une génération de docteurs apporta au concile les lumières des sciences sacrées : Osius de Cordoue, délégué du pape Sylvestre, et le grand Athanase, bien jeune encore, y brillaient au premier rang.

L’empereur arriva au commencement de juillet et présida, le lendemain, la première séance du concile, revêtu d’une robe de pourpre toute étincelante de pierreries, et assis sur un siége d’or peu élevé.

Son historien, Eusèbe, évêque de Nicomédie, fut chargé de le complimenter ; il nous a conservé le discours que prononça l’empereur :

« Lorsque, par le concours et le consentement du Tout-Puissant, j’eus triomphé de mes ennemis, dit-il, je pensais qu’il ne me restait plus qu’à louer Dieu et à me réjouir avec ceux qu’il avait délivrés par ma main. Mais aussitôt que j’ai appris la division survenue parmi vous, j’ai jugé que c’était une affaire pressante qu’il ne fallait pas négliger, et, désirant apporter aussi remède à ce nouveau mal, je vous ai convoqués tous sans délai : c’est une grande joie pour moi que d’assister à votre réunion… Ne tardez donc pas, ô mes amis, ô ministres de Dieu, ô serviteurs d’un maître et d’un sauveur commun, ne tardez pas à faire disparaître toute racine de discorde… »

Arius fut entendu plusieurs fois pendant le cours des conférences, qui durèrent l’espace de six semaines. Elles aboutirent à la rédaction d’une solennelle déclaration que signèrent tous les évêques, deux exceptés, et dont les termes résumés dans une formule simple, puis complétés au siècle suivant par le concile de Constantinople, constituent le symbole qui, depuis lors, fait partie des chants de l’office divin.

Les pères, avant de se séparer, réglèrent encore dans vingt canons divers points de foi et de discipline, entre autres la fixation du jour où devait être célébrée la fête de Pâques.

Constantin voulut que la clôture du concile coïncidât avec la célébration du vingtième anniversaire de son avénement au trône impérial ; il invita tous les évêques à un grand repas pendant lequel on le vit plusieurs fois se lever pour aller baiser les saintes cicatrices des confesseurs, et donna à cette occasion des fêtes si splendides, qu’au dire d’Eusèbe, elles tenaient plus de l’idéal que de la réalité.

  1. Mosquée verte.
  2. École religieuse.
  3. Étudiants.
  4. Hospice ou plutôt cuisine publique où on distribue des rations aux écoliers et aux indigents.